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une commission de général et à l’autre une commission de directeur-général, ordonnant en même temps aux mandarins de les seconder. N’étant pas alors en état de pousser plus loin leurs opérations, les troupes s’installèrent à Yu-yao et y tinrent garnison. Les Taï-pings vinrent souvent les harceler, jusqu’au jour où, tentant un effort suprême pour reconquérir le pays, ils se partagèrent en deux bandes, laissant Yu-yao de côté, reprirent les villes de Tzeu-ki et de Fong-houa, qu’ils avaient abandonnées, et allèrent menacer Ning-po en même temps au nord et au sud (septembre 1862). Ce port fut sauvé par l’énergie des Européens et des indigènes. Ward s’empara de Tzeu-ki; ce fut le dernier acte de sa vie aventureuse : il y reçut une blessure mortelle. Sa perte fut aussi celle de son contingent; ses soldats, restés sous le commandement d’hommes incapables, commirent de tels désordres qu’ils furent licenciés, à l’exception de trois cents, confiés au commandant de la station anglaise, le capitaine Dew, qui reprit Fong-houa. Les abords de Ning-po se trouvant ainsi dégagés, le bataillon franco-chinois put entreprendre une nouvelle campagne. Mieux équipé que la première fois, plus habitué au feu, il avait beaucoup gagné en courage, et, si les ressources lui manquaient, il espérait en trouver dans les territoires dont il allait s’emparer. Soutenu par cinq cents réguliers du capitaine Dew, il se dirigea, le 20 novembre, sur Shang-yu, dont la prise devait lui livrer le cours de la rivière, au-delà de laquelle il fallait refouler les Taï-pings. Ceux-ci, comprenant l’importance du coup qui les menaçait, avaient barré la route par quatorze camps retranchés. La rage leur inspira un système horrible d’intimidation : ils jalonnèrent de cadavres les huit lieues de parcours que le contingent avait à franchir; on comptait en moyenne un cadavre par quinze pas, un homme, une femme, un enfant, tous la tête coupée et séparée du tronc. Le temps était pluvieux et froid, les rizières inondées; les réguliers défilaient un à un sur les chaussées étroites, seuls chemins des campagnes du midi de la Chine, sans trop s’éloigner du convoi que des barques nombreuses amenaient sur le canal. Les camps furent enlevés les uns après les autres; trois seulement opposèrent une résistance sérieuse; les rebelles les abandonnèrent en poussant des cris de fureur, et dans leur désir de vengeance ils tuaient les paysans qu’ils rencontraient. Le dernier camp avait un kilomètre de long. Un des commandans se mit à la tête de deux cents hommes et s’en empara; mais, voulant, comme à Yu-yao, poursuivre les fuyards et pénétrer avec eux dans la ville, il fut arrêté par des barricades élevées en dehors des portes, et y fut blessé d’une balle qui lui brisa le coude droit. Cependant les Taï-pings, effrayés de la rapidité avec laquelle ils avaient été rame-