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pussions exercer notre influence militaire. Nous choisîmes Ning-po, qu’une division navale alliée venait, par un prodige d’audace, d’enlever aux Taï-pings (22 mai 1802). Ce port, situé dans la province du Tche-kiang, était loin d’avoir l’importance de Shang-haï, dont il n’est éloigné que de cinquante-cinq lieues dans la direction du sud; mais les opérations de la campagne devaient nous mener au milieu des districts de soie. Jeter dans cette contrée une garnison pour ainsi dire française, c’était donner des garanties de protection et de sécurité à ceux de nos négocians qui avaient déjà ouvert des établissemens au sein même des populations séricicoles. D’un autre côté, la mission des pères lazaristes avait fait aimer le nom français dans le Tche-kiang, et une vive reconnaissance animait les populations pour l’évêque, Mgr Delaplace, dont l’énergie et les conseils venaient de sauver la plus grande des îles Chusan, attaquée par les rebelles. Nous n’avions donc pas un meilleur choix à faire que Ning-po. Sans doute nous ne pouvions pas y attendre les mêmes ressources qu’à Shang haï, où les revenus de la douane, placés sous le contrôle d’étrangers choisis par le gouvernement chinois et devenus très considérables, permettaient immédiatement une organisation efficace; nous trouvions une ville en ruine, habitée par de pauvres gens dans la misère, un port sans commerce, sans négocians riches, ceux qui l’habitaient autrefois ayant pris la fuite, et ayant ouvert ailleurs des établissemens d’où ils ne songeaient pas encore à revenir. Cependant les Anglais ne se trompaient pas sur l’importance du Tche-kiang, et dès la prise de Ning-po ils y avaient envoyé Ward avec cinq cents hommes; celui-ci demandait que les finances disponibles servissent avant tout à la paie et au développement de son contingent. Malgré ces difficultés, les deux officiers de marine qui furent chargés d’organiser le corps franco-chinois réussirent à lancer leur entreprise. Il ne leur fut pas possible d’asseoir l’opération sur de larges bases; les mandarins n’avaient pas d’argent, et il fallut « faire feu de tout bois. » On n’obtint d’abord que quatre cents hommes; on les arma en empruntant à la douane des fusils confisqués à des commerçans européens fournisseurs des rebelles. Les chiens de ces fusils, qui étaient en fonte de fer, sautèrent les uns après les autres au nez des tireurs; un armurier chinois les remplaça par d’autres qu’il avait forgés lui-même. On appela comme officiers des soldats français congédiés et restés à Shang-haï. Un mois après, le petit bataillon se mit en campagne pour aller recevoir le baptême du feu.

Afin de vaincre les craintes des mandarins, qui appréhendaient que la formation d’une nouvelle force à côté de celle de Ward ne les entraînât à de trop grandes dépenses, on mit sous leurs yeux le