Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/967

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les étrangers établis à Canton refusaient, sous le prétexte qu’aucun négociant ne représentait notre commerce en cette ville, de laisser planter notre pavillon dans le jardin des factoreries où se déployaient les drapeaux des autres nations, et le commandant de notre station navale était obligé en cette circonstance d’avoir recours à la force. Le seul de nos agens diplomatiques qui fut en contact direct avec les autorités chinoises était le consul de Shang-haï, homme d’adresse et d’énergie, qui savait parler au nom de la France et se faire écouter. La légation, ne voulant pas se fixer à Hong-kong, s’était installée à Macao, ville portugaise fort calme, où elle pouvait recevoir, pures de l’atmosphère anglaise, les légères brises de politique qui soufflaient parfois de son côté. Le commerce y était nul ou à peu près; malgré les traités de 1842, la propagation de la foi s’y exerçait dans l’ombre par les missionnaires, qui restaient cachés au fond des barques ou dans les pauvres cabanes de leurs néophytes.

Telle était encore la situation de la France en Chine lorsqu’en 1857 elle unit ses armes à celles de l’Angleterre, et entreprit avec une poignée d’hommes cette courte campagne qui commença par la prise de Canton et finit par le traité de Tien-tsin. Dès ce moment, l’attention se tourna plus assidûment vers cette contrée mystérieuse de l’Asie, et ce mouvement de curiosité fut pour notre influence le signal d’une marche en avant, lente d’abord, puis plus rapide avec la campagne que couronna le traité de Pékin. Le jour où la plume des plénipotentiaires signa ces dernières conventions, qui cette fois devaient être efficaces, la France avait repris, politiquement du moins, le rang auquel elle devait prétendre dans ces parages; la Chine avait vu, non sans étonnement, cette nation dont elle croyait le rôle secondaire en Europe se présenter et agir de pair avec les Anglais, briser les portes du Céleste-Empire, et elle avait éprouvé, de manière à ne plus l’oublier, la résolution de son caractère et la vigueur de ses coups.

Ces événemens eurent chez nous et sur nous un effet non moins salutaire. Tout en suivant les péripéties de cette guerre curieuse, on comprit l’avenir qu’offrait aux intérêts occidentaux cette immense étendue de pays dont l’accès venait d’être ouvert, et l’on se mit à l’étudier. L’éducation de la France y a bien gagné : pour se faire écouter, le voyageur n’a plus besoin comme jadis de mettre en relief ces mille côtés burlesques que présentent aisément les mœurs, les coutumes et l’aspect d’un peuple lointain ; le public ne trouve plus aujourd’hui si bizarres et si ridicules les hommes et les choses de l’extrême Orient; il sait que les races qui l’habitent sont sérieuses et intelligentes, qu’il y a là, comme partout ailleurs, mélange de