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salutaire, et telle est la miraculeuse efficacité de la liberté qu’elle profite à tous, même à ceux dont elle semble blesser les privilèges. Dans mon opinion, personne ne retirera plus d’avantages de ces sortes de cours libres que l’enseignement de l’état, La charge d’amuser et d’instruire un public aimable et spirituel étant devenue ce qu’elle doit être, c’est-à-dire une industrie libre, permise, encouragée même, les titulaires des grandes chaires publiques seront plus à l’aise pour vaquer à leurs austères devoirs. L’état ne doit pas l’amusement au public. Il doit l’instruction élémentaire à tous; il doit de plus la haute instruction destinée à un petit nombre, mais dont les bienfaits retombent sur tous. On peut sérieusement espérer que les établissemens d’instruction supérieure gagneront à être ainsi débarrassés d’un-public qui les faussait. Rendus à leur vraie destination, qui est de continuer la tradition de la haute culture, ils songeront moins à attirer la foule qu’à faire des élèves. L’idée de l’autorité scientifique, qui manque si profondément en France, s’étendra et se fortifiera.

Une distinction d’ailleurs s’établira de plus en plus. Que les chaires de facultés continuent à avoir pour but principal de répandre les vérités acquises, la science déjà faite, nous n’y voyons pas d’inconvénient; mais qu’on ne sacrifie pas à ce besoin légitime d’une exposition élégante et claire la science en voie de se faire, l’enseignement dont le but principal est de découvrir des résultats nouveaux. Que le Collège de France redevienne ce qu’il fut au XVIe siècle, ce qu’il a été depuis à plusieurs reprises, le grand chapitre scientifique, le laboratoire toujours ouvert où se préparent les découvertes, où le public est admis à voir comment on travaille, comment on découvre, comment on contrôle et vérifie ce qui est découvert. Les cours intéressans ou simplement instructifs n’y sont pas à leur place; il ne doit pas y être question de programmes complets et formant un ensemble. Les cadres mêmes du collège doivent varier sans cesse. A part un certain nombre de chaires, qui ont toujours leur raison d’être, car elles représentent de grandes divisions scientifiques où le travail se continue de siècle en siècle, les titres des chaires devraient être pour la plupart mobiles, correspondant à la tâche de chaque jour. Il ne faut pas s’obliger ici à des symétries imaginaires, ni tenir à ce que toutes les branches de l’enseignement soient représentées. Certes Dieu me garde d’indiquer une seule des chaires actuellement existantes dont on eût pu désirer la suppression, puisqu’il n’en est pas une qui ne soit occupée par un homme d’un rare mérite; n’est-il pas cependant regrettable qu’aucun vide ne se soit encore produit qui ait permis de créer une chaire de zend, une chaire de littérature védique, et surtout une chaire de langues