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Pour beaucoup d’articles, les prix de vente descendent à des chiffres vraiment fabuleux, à 80, à 50, à 10 centimes par douzaine. Ces prix sont ensuite doublés, triplés, quadruplés par le commerce de détail. Souvent le public paie 1 sou ce qui n’a pas coûté 1 centime. Moins forte pour les ouvrages de choix, la disproportion n’en reste pas moins encore très choquante. Telle tabatière en riche bois exotique, qui revient au détaillant à 25 ou 30 francs, est vendue 75 ou 80 francs. Longtemps ces différences ont pu tenir en partie à la multiplicité des intermédiaires ; mais aujourd’hui cet inconvénient s’est notablement amoindri, le nombre des échelons a diminué. Certaines maisons ont des commis voyageurs qui prennent directement les commandes ; les autres ne sont plus guère séparées du détail que par le commissionnaire ou négociant en gros de Paris. Pour réagir contre les habitudes d’un gain démesuré et d’ailleurs préjudiciable aux fabricans, il faudrait répandre dans le public la connaissance des prix originels.

À d’autres points de vue, certaines réformes seraient encore plus nécessaires en même temps qu’elles sont plus faciles. Aptes à traiter toutes les parties de leur métier, comprenant vite ce qu’on leur enseigne, les tourneurs de Saint-Claude manquent de savoir. Comme les bons modèles leur font défaut, comme ils sont privés de tout moyen de comparaison, ils pèchent en général par le goût. Confondant le beau avec le bizarre, on les voit présenter comme des chefs-d’œuvre des objets dont l’unique mérite consiste dans le temps qu’ils ont pris et la peine qu’ils ont coûtée. Il suffirait aux tourneurs de mieux connaître le dessin pour éviter la plupart de ces méprises. On ne saurait trop leur faciliter cette étude. Les avances faites pour cet objet par la caisse municipale seront comme une semence féconde. On ferait bien encore de songer à la création d’une salle de modèles, d’une sorte de musée dont l’accès serait entièrement libre, et qui contiendrait, outre les échantillons des types nouveaux de la fabrique jugés les plus parfaits, les articles les mieux réussis des industries similaires de l’Angleterre et de l’Allemagne. Il serait également profitable d’y joindre quelques spécimens bien choisis d’autres industries plastiques qui ne sont pas sans quelque analogie avec les applications locales, par exemple de la céramique, de la poterie de luxe, et aussi de la sculpture mécanique.

En fait de création destinée à étendre, à perfectionner le travail, l’initiative ne serait pas un fait absolument nouveau dans les montagnes du Jura. L’autre cité de ce même district, Morez, va bientôt nous en fournir un témoignage significatif,

La distance entre les deux villes n’est que de 24 kilomètres ; mais la route est rude à parcourir, et elle l’était bien davantage avant les