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ainsi au rang d’un amuseur public, constitué par cela seul l’inférieur de son auditoire, assimilé à l’acteur antique dont le but était atteint quand on pouvait dire de lui : Sallavit et placuit[1]?

La surprise de l’Allemand qui vient assister à ces cours est très grande. Il arrive de son université, où il a été habitué à entourer son professeur d’un grand respect. Ce professeur est un Hofrath; il voit le prince à certains jours! C’est un homme grave, ne disant que des paroles remarquables, se prenant fort au sérieux. Ici, tout est changé. Cette porte battante, qui durant tout le cours ne cesse de s’ouvrir et de se fermer, ce va-et-vient perpétuel, cet air désœuvré des auditeurs, le ton du professeur presque jamais didactique, parfois déclamatoire, cette habileté à rechercher les lieux communs sonores qui n’apprennent rien de nouveau, mais qui font infailliblement éclater les marques d’assentiment, tout cela lui paraît étrange et inouï. Les applaudissemens surtout excitent son plus haut étonnement. Un auditoire attentif n’a pas le temps d’applaudir. Cet usage bizarre lui montre de plus qu’il s’agit ici non d’instruire, mais de briller. Il s’aperçoit qu’il n’apprend rien, et se dit à lui-même qu’en Allemagne il ne souscrirait pas à ce cours. Dans un cours assujetti à une rétribution en effet, ce qu’on veut pour son argent, c’est de la science positive, ce sont des résultats précis. On ne paie pas pour écouter un homme qui n’a d’autre but que de vous prouver qu’il sait bien parler. Wilhelm Schlegel, m’a-t-on dit, voulut, à l’imitation de la manière française, faire à Bonn de ces cours oratoires; il n’eut aucun succès. Personne ne voulut payer pour entendre des récitations. brillantes, dont le but principal était de montrer l’esprit du professeur, et dont le résultat le plus clair était qu’on se dît à la sortie : Il a du talent.

Le talent, tel fut en effet le but suprême de la culture nouvelle inaugurée sous le double régime de la publicité absolue et de la gratuité. Deux circonstances importantes donnèrent à cette direction un caractère encore plus tranché. La révolution, loin d’interrompre les traditions des sciences physiques et mathématiques, avait semblé leur donner un nouvel élan. Il n’en fut pas de même dans l’ordre qu’on appelle « des lettres, » et qu’on appellerait beaucoup mieux l’ordre des sciences historiques et philologiques. Dans cet ordre, la France, à la fin du XVIIIe siècle, était fort abaissée. La révolution acheva de la décapiter. Vers 1800, la France n’avait réellement que deux savans éminens dans les études dont nous parlons, Silvestre de-Sacy et d’Ansse de Villoison; encore ces deux hommes, de premier ordre comme spécialistes, étaient-ils dénués

  1. Inscription d’Antibes.