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n’avaient pas coutume de déployer ce double caractère; pour la première fois enfin, il a réussi à concilier la piété des intentions avec la beauté des formes, là où Mignard, Lafosse et tant d’autres gens habiles s’étaient efforcés de suppléer à une émotion absente par des combinaisons toutes pittoresques ou par des artifices d’exécution.

Si nous cherchons maintenant à apprécier les travaux d’Hippolyte Flandrin, non plus par rapport au passé, mais en regard des œuvres contemporaines, nul doute que la comparaison ne tourne plus facilement encore au profit d’un talent dont les principes mêmes et les caractères démentent avec éclat l’humilité de nos inclinations présentes. Il faut bien l’avouer en effet, l’art contemporain tend de plus en plus à se désaccoutumer des hautes régions, ou, s’il lui arrive de les visiter encore, il s’efforce d’en approprier l’atmosphère aux délicatesses de sa complexion, de ses besoins, de ses habitudes. Il s’y aventure avec tant de précautions, il y apporte des mœurs si raffinées et si mondaines, qu’il semble plutôt se souvenir de la terre sur le chemin du ciel que poursuivre, dans la plénitude du désir, un pressentiment des horizons infinis. Parlons sans figures. Le goût, sinon le culte de ce que la langue des ateliers qualifie aujourd’hui de « distinction, » est devenu à peu près le fond de notre religion esthétique. De là, — j’entends même dans les essais les plus remarquables, — je ne sais quelle terreur du simple et du beau, je ne sais quelle recherche chétive de la vérité ou, comme on dit encore, de « l’expression artiste. » Sentiment artiste, sentiment distingué, que de gens se paient bonnement de ces deux mots où ils saluent la formule de l’idéal moderne, le résumé de tous les mérites! On croit avoir tout justifié quand on a expliqué en ces termes la raison d’être d’œuvres à l’épiderme plus ou moins attrayant, mais auxquelles manquent la sève, le sang et les muscles, les sains élémens de la vie. Œuvres « artistes, » soit, mais non pas œuvres de peintres, c’est-à-dire conformes aux strictes lois, aux vraies conditions de la peinture; œuvres d’esprits souples, mais sans vigueur naturelle, de critiques subtils et non de poètes ! Dans ces travaux où la prudence supplée à la force et l’adresse des calculs à la franchise des inspirations, tout est harmonieux, il est vrai, parce que tout s’exprime à demi-voix ; tout caresse le regard sans néanmoins s’emparer de la pensée, parce que chaque intention, chaque forme a des grâces vacillantes, un charme qui n’existe qu’à la condition d’être entrevu. Esquiver avec la nature les rencontres directes, procéder à l’égard du dessin, du modelé, de la couleur par voie d’éliminations ou de réticences, subordonner enfin, sacrifier même la vraisemblance des choses à une simplicité recherchée,