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stincts et la suavité de sa manière. De même que Lesueur traitait les scènes mythologiques avec un goût si invariablement chaste, qu’on se souvient de Sainte Scolastique et de Saint Bruno jusqu’en face des toiles où le peintre a représenté la Naissance de l’Amour ou l’Enlèvement de Ganymède, de même les figures allégoriques peintes par Flandrin dans une des salles du château de Dampierre, à l’Ecole des Arts-et-Métiers, ou pour la décoration du berceau du prince impérial, rappellent et continuent cette expression d’inspiration mystique, ces délicatesses du sentiment chrétien qui distinguent ailleurs ses travaux. Objectera-t-on les portraits exécutés en si grand nombre par le maître, surtout pendant les dix dernières années de sa vie, et le haut talent dont il a fait preuve dans un genre de peinture où de pareilles qualités ne sauraient avoir, à proprement parler, ni le droit ni l’occasion de se produire? Certes la plupart des portraits de Flandrin sont des chefs-d’œuvre de vraisemblance, des images admirablement fidèles de la réalité. Suit-il de là qu’il n’y apparaisse rien de ce que le peintre a senti, non-seulement à propos des caractères extérieurs de ses modèles, mais à propos du rayon caché, de leur physionomie morale, de la vie de leur âme en un mot? Non, ici encore, maintenant comme toujours, Flandrin voyait bien au-delà du fait. Il l’acceptait avec une entière bonne foi, mais non pas avec un désintéressement tel qu’il oubliât d’en dégager la signification secrète, qu’il consentit à peindre des corps inhabités, et, pour ainsi dire, à supprimer l’idée de Dieu dans la représentation de ses créatures.

Loin de démentir les inclinations qu’accusent ses autres œuvres, chacun des portraits dus à ce pinceau achève donc de les expliquer, et les confirme. Quels que soient les travaux qui se succèdent et les conditions inhérentes aux sujets donnés, Flandrin garde en toute occasion une fidélité inaltérable aux principes qui avaient dirigé ses premiers efforts et persuadé de bonne heure sa conscience. Son talent a la même unité que sa vie : vie jeune jusqu’à la fin par la candeur des sentimens, par la générosité des désirs, par le dévouement aux choses et aux êtres aimés; vie limpide, sur laquelle le regard ne saurait se porter sans en découvrir le fond, et dont on pourra d’ailleurs suivre le cours, sans sinuosité comme sans mélange, dans une série de lettres qui sera prochainement publiée.

Et d’abord comment ne pas être touché de l’humilité si vraie, si constante, avec laquelle Flandrin n’acceptait sa réputation ou ce qu’il appelait son « honnête notoriété » que pour en faire hommage à la gloire de M. Ingres? Comment ne pas admirer cette attitude de disciple, « cette attitude inclinée et charmante, a très bien dit M. Beulé, dans laquelle il s’est tenu jusqu’à la dernière heure devant