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tive aux travaux ou aux délassemens du soldat; il n’y aura plus ici toutefois qu’un calcul fort indépendant des entraînemens de l’imagination, l’emploi d’un moyen moins stérile qu’un autre pour subvenir à des besoins immédiats, aux plus urgentes nécessités de la vie. Désormais le goût, les espérances même sont ailleurs, et quelques mois venaient de s’écouler à peine depuis l’admission de Flandriti dans l’atelier de .M. Ingres, qu’il était devenu l’un de ses élèves les plus habiles, les plus dévoués, les plus profondément convaincus.

À cette docilité intelligente, à ce zèle pour la cause du maître, Flandrin joignait déjà ces mérites d’un autre ordre qui devaient, dans le cours de sa vie, inspirer tant d’affection autour de lui et commander si sûrement une respectueuse sympathie pour sa personne. Ceux qui l’ont connu à cette époque gardent le souvenir d’un jeune homme à la physionomie rêveuse et douce jusqu’à l’expression mystique, au langage invariablement réservé, aux coutumes d’esprit enfin et à l’aspect si noblement modestes qu’on se sentait dominé en quelque sorte par cette modestie même et attiré par cet air de bonté. C’était bien là le genre d’influence qu’il devait un peu plus tard exercer à Rome sur ceux qui l’entouraient, et que constatait, en la subissant à sa manière, une femme du peuple, modèle accoutumé des pensionnaires de l’académie. Elle s’échappait un jour en épigrammes d’une âpreté toute méridionale, en violentes plaisanteries sur la laideur de tel d’entre eux, sur les faux agrémens de tel autre. On lui demanda pourquoi elle épargnait Flandrin, dont le visage pourtant n’avait ni régularité dans les traits, ni beauté proprement dite : « Oh! quant à lui, dit-elle, beau ou non, il ressemble vraiment à la Madone, pare proprio la Madonna. » Ainsi autrefois le doux Virgile gagnait les cœurs de ceux-là mêmes qui ignoraient son génie et devait au seul dehors de ses vertus ce surnom de vierge dont on le saluait dans les faubourgs de Rome. — Mais revenons à l’atelier de M. Ingres et aux caractères de l’éducation nouvelle qu’y recevait Flandrin.

Nous avons déjà parlé de l’ardeur avec laquelle l’élève avait dès le début embrassé le parti du maître. Était-ce donc qu’il s’agît alors d’agressions à repousser ou d’une guerre à entreprendre? Dans la situation où se trouvaient les affaires générales de notre école, le rôle de M. Ingres et de ses disciples ne pouvait être celui-là. Il s’agissait bien plutôt de s’isoler des combats qu’on voyait se livrer autour de soi, de laisser les excès en tous sens s’user par leur violence même, et, sans se mêler aux querelles du jour, d’introduire à côté des œuvres et des questions en litige un progrès assez significatif pour que personne n’en méconnût l’autorité, assez conforme néanmoins aux traditions du passé et aux aspirations présentes pour