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de s’installer et de vivre au meilleur marché qu’on pourra. « Plusieurs personnes, écrit Hippolyte, nous ont conseillé de louer une chambre non garnie. Nous en avons trouvé une qui nous coûte 140 francs par an. Tu vois, cher papa, que les loyers sont chers, car elle est très petite et au cinquième étage. Je vais te dire maintenant comment nous vivons. Levés à cinq heures, nous allons sentir le bon air au Luxembourg, qui n’est pas loin; à six heures, au travail. A huit ou neuf heures, nous déjeunons. Malheureusement le pain n’a jamais été aussi cher qu’il l’est à présent. Ensuite nous travaillons jusqu’à six heures... Tu me disais de ne pas contracter de dettes. Oh ! de ce côté-là tu peux être tranquille; j’aimerais mieux faire les plus grands sacrifices. Sois bien persuadé de l’amour de tes enfans. Malgré leur éloignement de toi, ils ne feront rien que tu puisses désapprouver, et ils tâcheront de te soulager. » Bien souvent toutefois le regret du cher foyer, de la famille, vient non pas décourager, mais attrister Flandrin au milieu de ses studieux efforts, et alors, de peur d’affliger son père, ce n’est plus à lui qu’il se confie, c’est à son frère Auguste. « Tu ne saurais croire avec quelle force je désirerais te voir et t’embrasser, ainsi que le papa et la maman. Presque toutes les nuits je me trouve transporté à Lyon, et hier j’étais vraiment fâché contre Paul pour m’avoir réveillé, car dans ce moment-là je croyais vous embrasser. Je pleurais de joie... Souviens-toi que tous les soirs nous sommes convenus de prier les uns pour les autres. C’est à quoi je ne manque jamais. Je suis bien sûr que notre pauvre maman n’y manque guère. Elle nous aime tant, et elle est si loin de nous! Pauvre père, bonne mère, vous n’avez plus auprès de vous tous vos enfans! » Enfin l’expression des sentimens de respect, et bientôt de dévouement passionné qu’inspirent à Hippolyte Flandrin ses premières relations avec M. Ingres vient, dans chacune de ces lettres, se mêler à l’expression de sa tendresse filiale ou au récit des petits événemens de la journée. C’est d’abord : « Nous sommes maintenant chez M. Ingres, à qui nous avons fait voir quelques-unes de nos compositions, dont il a été content; » puis : « M. Ingres nous encourage beaucoup, aussi nous travaillons avec la plus grande ardeur. » Survienne quelque circonstance où M. Ingres aura témoigné, avec un surcroît de bienveillance, l’intérêt qu’il porte à son jeune élève, et pour le coup le cœur de celui-ci déborde. « Que ne lui dois-je pas! écrit Flandrin à son frère. Que ne lui dois-je pas, à cet homme qui a déjà tant fait pour nous! Hier il m’a embrassé comme un père embrasse son fils... Je ne sais plus comment le nommer, mais je pleure en pensant à lui, et c’est de reconnaissance. »

Le nom d’Hippolyte Flandrin est, depuis bien des années déjà, si