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chez Hersent, de la couleur chez Gros, de la perfection absolue chez Vernet ? » On juge des prodiges d’économie et de patience qu’il leur fallut accomplir, des privations de toute sorte qu’ils durent s’imposer pour arriver à la réalisation de leur projet. Enfin à force de menus travaux et d’épargnes accumulées sou à sou, à force de prélèvemens sur le produit de petites vignettes dessinées pour les marchands d’images, de rébus pour les confiseurs, de pierres qu’un éditeur de lithographies leur achetait au prix de quinze francs chacune lorsqu’ils y avaient tracé vingt sujets bien comptés, la somme à peu près nécessaire se trouva un beau jour complète : maigre trésor, il est vrai, qu’il importait de ménager avec autant de scrupules qu’il en avait fallu pour l’amasser, et dont la moitié déjà eût été absorbée par les frais de route, si les voyageurs ne s’étaient préalablement interdit le luxe de deux places dans une diligence. C’est à pied qu’ils avaient résolu de gagner Paris. Les voilà donc en marche sur ce chemin que, deux siècles auparavant, un autre apprenti de l’art, Nicolas Poussin, avait suivi dans un sens opposé. Six fois encore, dans le cours des années suivantes, Hippolyte refera à pied, pour venir embrasser ses parens, ces cent vingt lieues qu’il entreprend aujourd’hui de mettre entre lui et la maison paternelle. Quelle différence toutefois entre l’accueil qui alors le récompensera de ses fatigues et l’isolement où il va se trouver en arrivant à Paris ! Qui sait ce qui l’attend au terme du voyage, quels hasards pénibles, quelles dures épreuves viendront tourmenter sa vie ou embarrasser l’essor de son talent ? N’importe, il est prêt pour toutes les luttes, résigné à tous les sacrifices, pourvu qu’il étudie, qu’il s’instruise, qu’il reçoive et qu’il mette à profit les leçons d’un de ces chefs d’école dont il a pu jusqu’ici pressentir seulement l’habileté et s’approprier les exemples à distance. — Quelques extraits des lettres qu’il écrivait à ses parens dans les commencemens de son séjour à Paris en diront plus sur ses dispositions morales, sur ses premières impressions, sur l’arrangement même de sa vie que les paroles où nous essaierions de résumer ces détails familiers, ennoblis d’ailleurs par le caractère de celui qui les donne comme par la tendre sollicitude de ceux à qui ils sont adressés.

Après avoir, à Fontainebleau, « admiré le château, qui est magnifique, reconnu tout de suite la cour dans laquelle se passa la scène qu’Horace Vernet a si bien représentée (les adieux à la garde), » Flandrin, une fois à Paris, court « voir avant tout la colonne de la place Vendôme, » et en général les monumens ou les tableaux qui lui parlent de notre gloire militaire, de ces souvenirs héroïques qui ont enthousiasmé son enfance, et qu’il se sent moins que jamais d’humeur à répudier. Cependant il faut aviser aux moyens