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ses prétentions. Est-ce bien pour les intérêts de la « grande patrie » que Berlin et Vienne se sont ainsi offertes, ou bien est-ce de part et d’autre pour certaines vues très particulières à la « patrie restreinte? » Demandez à M. de Bismark comment sa couronne d’épines s’est changée en lauriers, mais conseillez-lui de ne pas continuer à malmener, comme il l’a fait tout récemment encore (dans sa dépêche du 8 mai), la diète germanique. Si quelque droit peut être invoqué pour une guerre si utile au cabinet qui règne encore à Berlin, c’est au nom de la diète seule, et il est imprudent de laisser paraître dès maintenant trop à découvert le secret espoir d’avoir conquis l’hégémonie.

Entre la résolution de maintenir l’intégrité de la monarchie danoise, résolution dictée, dès l’origine du débat, aux puissances neutres par l’intérêt européen, et la nécessité reconnue de faire une concession à de nouvelles et légitimes exigences de l’Allemagne proprement dite, y a-t-il un moyen de conciliation qu’on puisse recommander? Nous n’en pouvons pas imaginer un seul qui soit rigoureusement à l’abri de tout reproche, puisque, en face de la prétention fondée de l’Allemagne d’être absolument maîtresse chez elle, le Danemark ne devrait cependant perdre, en vertu du principe posé en 1852, aucune parcelle de son territoire. Le droit rigoureux demanderait, si l’Europe croit devoir corriger une maladroite combinaison de 1815 en imposant à la monarchie danoise une diminution de territoire, qu’on stipulât en même temps pour celle-ci un dédommagement proportionné, difficulté nouvelle et grave. — A la place du droit rigoureux, rarement applicable dans les affaires humaines et surtout en politique, mettons l’équité. Or l’équité ne serait-elle pas satisfaite, si le Holstein était entièrement détaché de la monarchie danoise, mais avec certaines conditions imposées par l’Europe, de telle sorte que les ports du nouvel état ne vissent pas se former de redoutables établissemens militaires? Le Danemark subirait de la sorte, il est vrai, une grande perte, et l’on serait injuste de compter pour peu de chose cette mutilation d’une antique monarchie. La lettre du programme adopté naguère par l’Europe serait violée, mais l’esprit, ce qui vaut mieux, en serait sauvegardé; l’intégrité territoriale de la monarchie danoise subirait une atteinte, mais qui serait rachetée par la force nouvelle donnée à son intégrité morale ; l’intérêt de la nationalité scandinave resterait intact, dans le présent et l’avenir, pour le triomphe d’une doctrine que notre temps préconise. L’Allemagne, de son côté, aurait recouvré la libre disposition d’un territoire allemand; elle en disposerait à son gré, en consultant, si elle le veut, les populations sur le choix de leur futur souverain : c’est une affaire qui se débattrait de Berlin à Francfort. L’important, c’est que la véritable Allemagne, celle que représente M. de Beust, aurait obtenu de l’Europe une satisfaction éclatante. Dès son apparition comme grande puissance entièrement reconnue, elle aurait, du consentement de l’Europe, fait annuler un traité solennel auquel manquait sa signature; on aurait amendé, pour lui complaire, un