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qui, pour étayer leurs études, ne trouvaient autour d’eux aucun point d’appui. S’il est naturel qu’aux États-Unis d’Amérique la liberté sans limite dont jouissent les sectes religieuses ait engendré un besoin farouche d’autorité, ait groupé autour du chef des mormons quelques hommes qui aspiraient à recevoir une vigoureuse impulsion et à être maintenus dans la ligue étroite d’une direction morale absolue; il est naturel aussi qu’un peintre amoureux, avant tout, d’art et de beauté, ne trouvant dans les exemples qu’il avait sous les yeux rien qui pût le conduire au but qu’il entrevoyait, se soit retourné violemment vers les anciens maîtres et se soit penché sur les sources mêmes de la tradition plastique pour découvrir le mot de l’énigme qu’il interrogeait vainement de nos jours. C’est ce qui est arrivé à M. Gustave Moreau.

Quoique le tableau qu’il nous montre cette année passe aux yeux de beaucoup de gens pour un début, M. Moreau ne nous est point inconnu, et il n’en est pas à son coup d’essai. Toutes ses tentatives précédentes ont fait présumer un esprit anxieux, mal certain de son originalité, qu’il ne parvenait à dégager qu’avec peine, et fort épris d’un idéal élevé que l’insuffisance des moyens mis à sa disposition et du milieu qui l’entourait l’empêchait d’atteindre. Ce fut en 1852 qu’il exposa pour la première fois; sa Pieta était une réminiscence directe et très apparente des tableaux d’Eugène Delacroix : le jeune peintre, séduit par l’effet des colorations savantes, avait négligé les impérieuses prescriptions de la ligne. En 1853, sa manière était déjà complètement modifiée : cherchant toujours et ne sachant à quel maître se rattacher, il fit un Darius mourant qu’on aurait pu prendre à première vue pour un pastiche de Chassériau, beaucoup moins toutefois dans la coloration générale, dans la composition, qui déjà était savante, que dans le dessin et l’expression des têtes. Il s’essaya ensuite, si j’ai bonne mémoire, dans les eaux-fortes, qu’il grava lui-même ou fit graver. — Je me souviens d’un Roi Lear sur la bruyère et d’une Mort d’Hamlet qui semblaient prouver que l’artiste n’avait voulu obtenir que le mouvement au détriment de toutes les autres qualités qu’on est en droit d’exiger d’une œuvre pareille. En 1855, à l’exposition universelle, il passa presque inaperçu, et cependant ses Athéniens livrés au minotaure dans le labyrinthe de Crète n’avaient plus rien de la manière d’Eugène Delacroix ni de celle de Théodore Chassériau, et indiquaient un talent qui, se cherchant encore, était sur le point de se trouver. Quelle impression l’exposition universelle des beaux-arts produisit-elle sur M. Moreau et en quoi put-elle déterminer sa résolution ? On peut le soupçonner. Il vit que les maîtres dont la France s’enorgueillit à bon droit étaient vieux, au déclin de leur talent comme au déclin de leur vie; il vit que ceux