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d’œuvre du Guide. C’est une jeune fille, si jeune qu’on la prendrait pour une enfant, si légère qu’elle ne fait même pas plier la feuille de chou sur laquelle elle s’est hissée du bout de ses petits pieds ; elle attire à elle une fleur de volubilis ramée à une longue perche, et dans cette coupe naturelle elle boit la rosée. De hautes malvacées découpent leur silhouette humide sur le ciel, qui est d’un rose laiteux peut-être trop accusé ; de belles gouttelettes transparentes roulent sur les cheveux de la charmante buveuse et sur les fleurs qui l’environnent. Ai-je besoin de dire qu’elle est blonde et tout à fait jolie ? C’est très fin de ton, d’une pâleur harmonieuse et d’un esprit de composition un peu moins précieux que d’habitude. Ce n’est certainement ni de la grande, ni de la forte peinture ; mais c’est plaisant aux yeux, chastement compris, suffisamment peint, et je pense que M. Hamon n’a pas eu d’autre ambition. Dans cette donnée-là, il y a de très agréables tableaux à faire : c’est peut-être plutôt de la décoration que de la peinture et cela conviendrait parfaitement à la céramique ; mais il ne faut point se montrer trop sévère, et il est juste de tenir compte aux artistes des efforts qu’ils font pour produire des œuvres gracieuses et sans sous-entendu.

En somme, quoiqu’il soit rétribué aujourd’hui comme il ne l’a été dans aucun temps, c’est un métier ingrat que celui de peintre. La majeure partie du public ne comprend rien à ce qu’on lui montre ; la ligne lui est indifférente, la couleur lui importe fort peu, la composition même n’a guère le don de l’émouvoir. Ce qu’il aime avant tout, ce qui l’attire, ce qui sollicite son attention, c’est l’anecdote, et si les personnages de l’anecdote sont connus, c’est un succès de curiosité. Il faut voir où la foule s’entasse de préférence pour bien s’expliquer ce fait affligeant. La valeur d’art que peut présenter un tableau est la dernière chose dont on s’inquiète. Qu’importe que les tons soient justes, que la ligne soit noble, que l’ordonnance ait de l’ampleur ? On se presse autour de toiles qui n’ont d’autre mérite que de représenter des individus dont on a entendu parler, et qui souvent, pour plus de facilité, sont reproduits sur un index fixé à la bordure. Que la scène se passe sous le directoire, dans un foyer de théâtre, dans une sacristie, l’intérêt est le même, car il n’est excité en rien par l’œuvre intrinsèque. Le sujet seul est en jeu, et cela plaît aux spectateurs, qui pour la plupart sont comme Toinette « et n’entendent rien à ces matières. » Il faut donc féliciter les artistes qui savent résister à ces sollicitations et qui dédaignent les succès de vogue obtenus par de tels moyens. Du reste, on doit le dire, ces toiles anecdotiques sont à la vraie peinture ce que les menues nouvelles d’un journal sont à un poème héroïque. Le plus souvent c’est de la monnaie courante, et pas autre chose. Ai-je besoin de dire que ces observations ne s’adressent point aux tableaux de M. Meis-