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Il est certain que M. Rousseau subissait depuis quelques années, en apparence du moins, un affaissement tenant peut-être à des tentatives nouvelles qui n’ont point abouti. Fidèle à ses premières tendances, il y revient aujourd’hui naïvement, avec sincérité, et on ne saurait trop l’approuver. Sa Chaumière sous les arbres est une toile de son bon temps ; malheureusement elle a été agrandie après coup, ce qui interrompt les terrains du premier plan par un boursouflement désagréable que l’on ne peut reprocher au peintre. Cependant il faut éviter ces rentoilemens par juxta-position, ils nuisent toujours à l’excellence du tableau, et chacun peut constater le déplorable effet qu’ils finissent par produire en regardant le portrait de Cherubini, par M. Ingres, qui est au musée du Luxembourg. Quoi qu’il en soit de ce détail matériel, le paysage, d’un vert profond et comme bronzé, égayé par la teinte bleue d’une robe de paysanne, est un des meilleurs que l’on doive à la fécondité de M. Rousseau. Si l’on est en droit de lui reprocher quelques lourdeurs dans le feuille des arbres, on ne peut que louer l’harmonie générale et l’effet très sérieux, triste et puissant, obtenu par l’emploi des grandes masses percées seulement çà et là par une éclaircie du ciel. Je remarque avec surprise que la plupart des paysagistes ont dans la main une certaine pesanteur native dont ils ne parviennent pas toujours à se débarrasser ; je l’ai reprochée à M. Cabat, je la constate chez M. Rousseau, je la retrouve chez M. Français, qui cependant s’en corrige peu à peu. Sous ce rapport, chaque année affirme un progrès, et je ne doute pas qu’il ne finisse par donner à son pinceau l’exquise légèreté de son crayon. Son Bois sacré ne vaut certes point l’Orphée exposé au salon de 1863, et qui est resté dans mon souvenir comme un des meilleurs paysages à la fois héroïques et naturels que l’on pût voir ; mais ce n’en est pas moins une toile importante. Ce n’est plus la mystérieuse tristesse de la nuit que M. Français a essayé de rendre ; il s’en est pris cette fois à une des fêtes de la nature, à une de ces aubes de printemps où tout est lumière, fraîcheur et parfum. Dans un lucus où l’on croit entendre la plaintive mélodie des dryades, un ruisseau transparent roule sur un fit de gravier et baigne de ses ondes rapides les hautes herbes, les fleurs ondoyantes qui bordent ses rives ; de jeunes arbres tout humides de rosée laissent tomber une ombre verte et légère du haut de leurs feuilles, qu’éclairent sans les pénétrer les rayons du soleil ; un ciel d’un azur encore pâle colore la blonde verdure de la forêt et forme avec elle une harmonie du plus haut goût. Une cascade qui écume dans le lointain, au sommet d’une colline, coupe malheureusement, à mon avis, la belle coloration générale, qui, si elle avait été maintenue entre les deux teintes--