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en aide à la peinture, et la photographie a enseigné aux peintres l’anatomie des arbres qu’ils ignoraient jadis. De plus, aux causes que je viens d’indiquer, il faut en ajouter une d’un ordre beaucoup moins élevé, et qui cependant ne manque pas d’une certaine importance. La figure, j’entends la figure épique, celle qui doit prendre place dans de grandes compositions, est la pierre d’achoppement de beaucoup de peintres ; voyant, après d’inutiles efforts, qu’ils n’arriveront jamais à exécuter d’une façon suffisante celui qui est fait à l’image de Dieu, l’homme, ils se rabattent sur le paysage, toujours plus facile à traiter, plus obscur, moins défini ; en un mot, se sentant impuissans à rendre l’expression, ils se contentent de traduire l’impression.

Autrefois c’était le paysage historique qui régnait sans contrôle : sous prétexte de suivre la tradition laissée par Poussin et par Claude le Lorrain, qui furent cependant deux admirables peintres naturalistes, on crut devoir composer des paysages, prendre arbitrairement un fleuve ici, une forêt là, une ville plus loin ; la ruine, l’inévitable ruine n’y manquait guère. Les documens étaient rarement fournis par la nature, et le plus souvent on les empruntait à des tableaux célèbres légués par les maîtres du XVIIe siècle. Un tel état de choses ne pouvait durer, une révolution était imminente dans cet art devenu barbare à force de raffinement, et ce fut un Anglais qui, le premier, donna le signal de l’insurrection. John Sell Cotman fut longtemps ignoré, même dans son pays ; un de ses premiers dessins (une eau-forte ou plutôt un vernis mou), représentant une charrue abandonnée dans un champ, porte la date de 1814. Quand son œuvre, qui est considérable, parvint-elle en France ? Je l’ignore, mais j’ai tout lieu de croire qu’elle n’a pas été sans influence sur nos paysagistes modernes et que Decamps s’en est souvent inspiré. Le premier qui, chez nous, osa arborer courageusement l’étendard de la révolte contre les doctrines qui prévalaient dans la composition du paysage, le premier qui eut l’audace, fort grande alors, d’exposer un tableau simple, vrai, qui représentait un aspect banal pris aux environs de Paris, fut M. Gabat. Incontestablement il est le chef de l’école moderne des paysagistes. C’est une gloire à n’en pas vouloir d’autre. Du reste il n’a point déserté le combat, et les toiles qu’il expose aujourd’hui prouvent que s’il n’a pas modifié la lourdeur essentielle de sa touche, il a gardé les grandes qualités qui ont établi et maintenu sa réputation. De ses deux tableaux, une Source dans les bois est celui que nous préférens ; la forêt est sombre, traversée par un chemin grisâtre près duquel une auge en pierre garde l’eau qui s’écoule goutte à goutte. Il y a du charme et du mystère, quoique les ombres soient trop poussées au noir et que le modelé ait une solidité exagérée parfois