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eut son jour cependant, et il put croire, comme tant d’autres, que la célébrité allait ouvrir devant lui les doubles portes de la fortune et de la gloire. En 1832, il avait mérité le premier grand prix de Rome, et son dernier envoi, un Jeune Faune, statue en marbre exposée en 1840, lui valut les éloges de la critique, l’approbation de ses confrères, et d’emblée une médaille de première classe, ce qui n’était point peu de chose à une époque où le gouvernement mesurait ses récompenses et ses encouragemens d’une main moins prodigue qu’aujourd’hui. Autour de son nom, il se fit quelque bruit : lorsqu’on parlait de l’avenir de la sculpture en France, on se rappelait ce Faune à la fois plein d’élégance et de force, et l’on disait : Il y a Brian. Pradier, je m’en souviens, avait espoir en lui, quoiqu’il ne portât jamais qu’un intérêt assez restreint aux élèves de David d’Angers. Quelle faiblesse vint donc saisir tout à coup cet homme de bon vouloir au moment même de sa maturité? Pour quelle raison laissa-t-on retomber promptement dans l’oubli celui qui y avait échappé par une œuvre remarquable, restée présente encore aujourd’hui à la mémoire de ceux qui l’ont vue jadis? Il y a là certainement un mystère douloureux, car à partir de 1840 Brian disparaît pour ainsi dire des expositions. On le retrouve en 1843, en 1844, en 1845 et 1863 avec des bustes, ceux de MM. E. Pelletan, Lamartine, Aimé Martin, Romain-Desfossés; en 1847 seulement, on voit de lui une statue en plâtre, Nicolas Poussin. Que lui a-t-il manqué, le courage ou l’encouragement? Je ne sais; bien souvent le second produit le premier, et la récompense tardive, affirmant un talent qui a peut-être appris à douter de lui-même dans la solitude et dans l’obscurité, aurait sans doute avivé ses forces et ranimé son esprit, si elle avait été accordée avant l’heure fatale qui la rend illusoire.


II.

Lorsqu’un monument ébranlé par l’âge se lézarde et menace ruine, les herbes folles poussent à ses pieds, les lierres dévorans grimpent le long de ses murailles, les ravenelles couronnent son faîte; la nature le réclame et en prend possession. En est-il donc ainsi de l’art? Je le croirais volontiers, car depuis quelques années le paysage envahit la peinture, et la seule école vraiment féconde fondée par les artistes de la France moderne est l’école des paysagistes. Cela tient à bien des causes que j’indiquerai sommairement, car toutes les fois qu’un phénomène se produit, il n’est pas inutile d’en rechercher les raisons déterminantes. C’est le propre des vieillards de faire un retour vers les champs et d’aller leur demander le repos. La vieille société française, lorsqu’elle touchait déjà au