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habile. Cette statue est en bronze, et par malheur l’emmanchement des différentes pièces s’y reconnaît trop facilement; la façon dont les deux parties de la cuisse droite sont brasées à froid est insuffisante, et une différence visible dans la composition du bronze, qui ôte l’uniformité à la patine, rend plus saillant encore ce défaut, dont l’artiste n’est pas responsable. Je regrette que les sculpteurs ne se soient pas étudiés à manier le bronze; c’est une fort belle matière, facile à travailler, qui, loin d’être rebelle à la lime, en subit les moindres inflexions, qui comporte toutes les réparations possibles, et dont on ne devrait pas abandonner l’emploi définitif à des ouvriers qui, si habiles qu’ils soient, ne peuvent jamais rendre exactement la pensée d’un artiste. C’est le statuaire aussi qui devrait donner la patine à ses bronzes; c’est l’épiderme, c’est la coloration de la statue, et cela vaut la peine qu’on y prenne garde. Depuis la patine sombre d’Herculanum jusqu’à la chaude patine des Florentins de la renaissance, depuis la patine bleue de Pompéi jusqu’à la patine vernie des Japonais, il y a mille nuances qui ne sont point indifférentes, et qu’un artiste doit choisir après les avoir comparées et raisonnées. M. Barye obtient lui-même, à force de travail et de soins, ces magnifiques teintes couleur de malachite qui donnent un si vif relief à ses bronzes et font l’admiration de tous les amateurs. Si, recevant les pièces de la main du fondeur, le statuaire les reparait lui-même, son œuvre, il n’en faut pas douter, gagnerait une originalité que la main de l’artiste peut seule trouver, et que la main de l’ouvrier ne pourra jamais indiquer qu’imparfaitement.

Nous arrêterions ici notre compte-rendu de la sculpture, si les membres du jury pour cette section n’avaient accordé la médaille d’honneur à M. Brian, que la mort vient d’enlever récemment. La statue qu’il n’a pu achever représente Mercure. Est-ce bien le messager des dieux? N’est-ce pas plutôt un Giotto s’essayant à dessiner sur le sable? Confusion singulière et qui prouve une fois de plus avec quelle indécision la plupart des artistes traitent leur sujet. C’est une ébauche. Un homme est assis, inclinant la tête vers la terre, les jambes à demi croisées; on ne peut que deviner la position des bras : l’un est brisé, l’autre eût été évidemment repris dans sa forme et dans son mouvement. Jusqu’à un certain point, cette figure incomplète, dont le geste est indéterminé, peut rappeler un Mercure rattachant ses talonnières, mais rien de spécial ne peut le démontrer. Telle qu’elle est néanmoins, cette statue est touchante à voir, car on comprend que la mort a dû briser l’ébauchoir dans la main qui travaillait encore, et nous ne trouvons pas en nous la force de blâmer le jury d’avoir donné une grande récompense posthume à celui qui, pendant sa vie, n’obtint aucune distinction particulière. Il