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ses larmes, son déguisement sous les habits de Maurice, son évasion par une fenêtre, la joie des assaillans qui mettent la main sur elle croyant tenir le duc de Courlande, enfin l’attendrissement de l’officier moscovite qui garde pour lui sa captive et finit par l’épouser. Nous avons bien des fois rencontré Néel sur notre route avec ses insipides légendes que tous les biographes ont répétées; si nous nous arrêtons un instant pour signaler ici ces mensonges, c’est que nous le prenons en flagrant délit. Tout cela en effet, surprise, attaque nocturne, combat terrible, salut inespéré du comte de Saxe, et l’histoire de la Courlandaise, autant d’inventions du plus ancien biographe de Maurice, de celui qui dit solennellement dans sa préface : « La vérité perce toujours d’elle-même; l’imposture peut bien l’éclipser pour quelque temps, mais tôt ou tard elle triomphe de son obscurité, et pour lors elle n’en devient que plus brillante et plus respectable! » Nous nous bornerons à mettre en regard de ces niaiseries romanesques le simple tableau de la réalité. Maurice vient de raconter au comte de Friesen son entrevue du 11 juillet avec le prince Menschikof, et il ajoute :


« Le soir du même jour il me vient des avis de différens endroits qui me confirment qu’il ne veut pas traiter l’affaire dans les règles. N’ayant envie ni de me laisser surprendre, ni de lui abandonner la place, je me prépare d’être alerte la nuit avec le peu de monde que j’ai. La noblesse, qui est encore en ville, vient me joindre de la meilleure grâce du monde; la bourgeoisie, de son côté, m’avertit de tout ce qu’elle peut découvrir, et je sais que les dragons russes ont ordre de mettre leurs armes en état et de se tenir prêts à monter à cheval. Ma petite troupe n’en est point effarouchée; quelques dispositions que je fais, et la fermeté qu’elle me témoigne, me font juger à raison que je ne serai pas attaqué impunément. Nous passons enfin la nuit assez gaiement pour des gens qui sont menacés. Vraisemblablement l’ordre donné aux dragons n’était que pour leur sûreté et celle de leur chef. »


Une lettre du major de Glasenapp, conservée aussi aux archives de Dresde, prouve que le prétendu siège du 11 juillet n’a pas eu lieu plus tard, le 17, par exemple, comme le disent quelques historiens. Cette lettre est du 20 juillet; elle mentionne le bruit qui a couru d’un projet d’attaque attribué aux Russes pendant que Menschikof était encore à Mitau. Or Menschikof, irrité de la résistance des deux hauts dignitaires courlandais et très peu rassuré par l’attitude de Maurice, s’était empressé de quitter Mitau dès le 12 juillet. La réalité n’est-elle pas plus vive que le roman? Ici, Maurice se bat comme un lion, il est vrai, mais il se laisse surprendre comme un conscrit; là, Maurice voit le péril, l’attend, le provoque, passe la nuit gaîment avec ses compagnons, si bien qu’au lever du jour le péril s’est évanoui, et Menschikof a décampé.