Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/675

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saxe, et qui se fourvoie tout à fait quand il copie Néel ou d’Alençon; lisez même le travail beaucoup plus sobre, et fort estimable au point de vue technique, de notre contemporain M. de La Barre-Duparcq : vous verrez dans ces ouvrages si divers le récit très circonstancié du siège soutenu par Maurice contre les troupes de Menschikof.

Maurice, c’est Néel qui parle, était occupé à lire la lettre où le primat de Pologne protestait contre son élection, lorsqu’il entendit dans la rue un bruit extraordinaire. « Comme il était toujours sur la méfiance, il mit la tête à la fenêtre... Quoique le jour commençât à tomber, il reconnut pourtant que c’était à lui qu’on en voulait et que sa maison était investie de tous côtés par des gens armés. » Point de doute, ce sont les Russes. Aussitôt il arme ses compagnons, environ soixante hommes, et les place chacun à son poste. Les planchers sont enfoncés, les cloisons abattues, pour que l’on puisse communiquer d’une chambre à l’autre, et une lutte terrible s’engage. Déjà les Russes ont seize hommes tués et plus de soixante blessés. Deux hommes seulement dans la petite troupe de Maurice sont atteints de blessures légères ; mais que peut la valeur contre le nombre? Les assiégeans réparent sans cesse leurs pertes; ils entrent par en bas, par en haut, ils occupent les portes, les fenêtres, les toits, ils sont partout; Maurice va succomber... Il eût succombé infailliblement, si la princesse Anna Ivanovna, informée à temps, n’eût envoyé toute sa garde à son secours. « L’officier qui commandait les Russes ne jugea point à propos de passer outre : dès qu’il reconnut la garde du palais et qu’il vit que la princesse s’en mêlait, il rassembla tout son monde le plus promptement qu’il put, abandonna la partie et sortit de la ville le soir même[1] . »

Tel est le récit que Néel a imprimé en 1760 et qui a été répété jusqu’à nos jours par tous les biographes de Maurice de Saxe. On en trouve même la trace dans une Histoire de Russie fort estimée en Allemagne, et dont l’auteur est M. Ernest Hermann, professeur à l’université d’Iéna[2]. Ne semble-t-il pas que le conteur, si plat écrivain qu’il soit, a parlé ici sur pièces authentiques? Comment se défier d’une histoire dont les détails sont donnés avec cette précision? Aux combats imaginaires il se garderait bien de ne pas mêler une romanesque aventure. La fille d’un bourgeois de Mitau, il l’affirme, se trouvait alors chez Maurice, et de là un épisode dont pas un détail n’est omis : confusion de la malheureuse fille, son effroi,

  1. Histoire de Maurice, comte de Saxe, maréchal-général des camps et armées de sa majesté très chrétienne, duc-élu de Courlande et de Sémigalle, chevalier des ordres de Pologne et de Saxe; contenant toutes les particularités de sa vie depuis sa naissance jusqu’à sa mort, avec des anecdotes curieuses et intéressantes... 2 vol., Dresde 1760. — Voyez t. Ier, p. 156-157.
  2. Geschichte des russischen Staates, von Ernst Hermann. Voyez le quatrième volume, page 485. — Hambourg, 1849.