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L’habile homme en vérité! Maurice sourit, et, séance tenante, il écrit au roi de Pologne cette recommandation plus malicieuse sans doute que magnanime :


« Le prince de Menschikof présume assez des bontés dont votre majesté m’honore pour croire qu’elle accordera quelque chose à mes très humbles prières. Il a souhaité, sire, que je vous recommande ses intérêts, et comme je désire lui témoigner combien ils me touchent, je supplie votre majesté d’y avoir une attention particulière. »


A l’issue de cet entretien, Menschikof, plus fier que jamais, et se croyant déjà l’arbitre, sinon des humains, au moins des Courlandais, fait venir chez lui le maréchal de la noblesse, M. de Brüggen, le chancelier de l’état, M. de Keyserling, et leur enjoint d’exécuter ses ordres, sous peine de la déportation en Sibérie : dix jours leur sont accordés pour faire annuler l’élection du comte de Saxe; ce délai expiré, 20,000 Russes occuperont la Courlande. Le maréchal et le chancelier, avec une fermeté indomptable, répondent qu’ils n’ont aucune fonction de ce genre à remplir, que leur mandat de député a fini à la clôture de la diète, que l’élection de Maurice ayant eu lieu régulièrement, ils n’y peuvent rien changer, et ils se retirent la tête haute. Cependant, Menschikof leur ayant dit pour les persuader qu’il se débarrasserait du comte de Saxe (allusion aux 100,000 roubles et à la lettre de Maurice), ils crurent que le prince avait de mauvais desseins. Le bruit se répand bientôt que Menschikof a fait faire dans la ville des provisions d’armes, de plomb, de poudre, et que Maurice va être attaqué la nuit suivante. Les gentilshommes qui se trouvent encore à Mitau réunissent aussitôt les gens de leur maison et se rendent, armés jusqu’aux dents, auprès du chef qu’ils ont élu. On se barricade derrière les portes de l’hôtel; si les dragons de Menschikof se présentent, ils trouveront à qui parler.

Les dragons ne vinrent pas. Soit que le prince Menschikof n’ait pas eu les desseins que lui attribuait la clameur publique, soit que l’attitude de Maurice et de ses amis l’ait fait reculer, le duc élu de Courlande n’eut pas à soutenir ce siège, qui aurait fourni une page de plus à ses héroïques aventures. Cette page, les chroniqueurs du XVIIIe siècle n’ont pas voulu la perdre. Il y a sur Maurice de Saxe toute une tradition légendaire à laquelle cette nuit du 11 juillet ne pouvait pas échapper. Lisez Néel, qui a jeté une broderie si vulgaire sur les confidences suspectes de M. d’Alençon; lisez le baron d’Espagnac, bon soldat, homme d’esprit, élégamment loué par Voltaire, mais aussi crédule que léger pour tout ce qui ne concerne pas l’histoire militaire de son héros, le baron d’Espagnac, qui s’embrouille çà et là dans les souvenirs directement recueillis de Maurice de