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aux puissances voisines, aux dignitaires de la république de Pologne, au roi de Prusse, à l’impératrice Catherine. Les dignitaires de Pologne, c’est-à-dire l’archevêque-primat, Théodore, comte Potocki, le grand-chancelier, comte Szembeck, et les magnats, répondirent dans les mêmes termes, ne menaçant point, mais protestant. « L’élection, disaient-ils, était contraire à la volonté de sa majesté et à ses droits, comme aussi à ceux de la république. » Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume, grand formaliste, comme on sait, excepté dans sa tabagie nocturne, fut scandalisé de voir ce jouvenceau lui écrire sans plus de cérémonie, « demandant l’amitié du roi et l’assurant d’un bon voisinage. » Quant à Saint-Pétersbourg, la nouvelle du succès de Maurice y produisit des impressions très diverses. « Mardefeld, écrit Lefort, est presque tombé en apoplexie. » Et il ajoute dans ce langage salé qui sent le diplomate du XVIIIe siècle : « Nos amis et surtout les femelles n’en dorment pas de joie… S’il ne vient pas bientôt, j’appréhende qu’elles ne lui courent au-devant. Autant de mille écus que notre héros va faire d’Actéons m’accommoderaient fort. » Le diplomate saxon eût désiré en effet que Maurice battît le fer pendant qu’il était chaud, et enlevât lestement la conclusion de son mariage avec la princesse Elisabeth. Impossible cependant de quitter la Courlande en cette heure décisive. Il y avait encore une formalité à remplir pour la consécration du vote accompli le 28 juin : une charte devait fixer les obligations réciproques des électeurs et du nouveau duc, et tant que cette convention n’existait pas, les ennemis de Maurice avaient quelque chance de lui couper l’herbe sous le pied. Les agens de Menschikof se remuaient comme des Tartares ; l’or à la main, la menace à la bouche, c’étaient des diables déchaînés. Toutes les séductions furent vaines, les Courlandais, en vrais fils des chevaliers, se montrèrent incorruptibles ; mais ils avaient le culte de leur patrie, ils étaient passionnés pour leur indépendance, et comment n’eussent-ils pas éprouvé des scrupules, comment ne se seraient-ils pas demandé avec angoisse si leur résolution du 28 juin n’était pas une folie au moment où chaque courrier arrivant de Saint-Pétersbourg leur montrait la Russie entière prête à les écraser ? Le péril croissait d’heure en heure. Le 3 juillet, Maurice les mande auprès de lui, leur rappelle les engagemens pris de part et d’autre ; il leur a consacré sa vie, il saura maintenir leur indépendance ; vont-ils donc s’abandonner eux-mêmes ? L’heure presse, il faut se décider. Si le 5 juillet la charte n’est pas signée, il part. Cette fierté, cette certitude de vaincre relève les courages chancelans. Le 5 juillet, la charte est signée par les députés et le prince de Saxe, duc-successeur de Courlande. Le 6, la diète se sépare, ayant fini sa tâche ; Maurice va commencer la sienne.