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« Le roi m’a permis de prendre des engagemens avec les Courlandais, d’y envoyer, d’engager Pociey, qui s’y est mis jusqu’au cou, de la manière du monde la plus généreuse, sans que je lui en aie rien promis, ni que le roi lui on ait parlé seulement. Celui-ci en a engagé d’autres en Lithuanie, de façon que je me suis fait un parti assez considérable. D’ailleurs il m’a fallu des gens en Courlande pour porter la noblesse à une action hardie; tout cela fait un procès d’inquisition, quand la chance tourne[1]. Mon projet était que le roi, après avoir écouté les raisons des Courlandais, pût décider en leur faveur comme juge naturel. Il me pressait toujours sur mon départ, mais je me récusais sur ce que l’affaire n’était pas encore mûre, et que je craignais qu’à l’arrivée du grand-chancelier et du primat il ne signât quelque chose contre moi, sur quoi il m’assurait toujours qu’il tiendrait bon et qu’il me donnerait le temps de faire mon coup. Enfin ce maudit grand-chancelier arriva, il parla, et je reçus ordre de rester à Varsovie. C’était le moment que j’avais bien prévu et que je pris pour me déterminer. Je partis sur-le-champ, et j’écrivis au roi ce que je pus de plus persuasif; il me fit répondre que la raison l’emportait sur l’inclination, que je devais abandonner mon projet, m’en aller à Dantzig, et de là m’embarquer, pour attendre, sous des climats plus heureux, des conjonctures plus favorables. Tout cela était dit fort élégamment. Depuis ce temps-là, je suis resté en relations avec le prince, qui m’a toujours exhorté à abandonner mon parti. Le roi a continué comme il a commencé, et il a envoyé ici M. le staroste de Chicanof avec un rescrit fulminant qui défend de tenir la diète avec des menaces horribles, et lui est un personnage très impertinent : il parle de confédération, de faire couper des têtes... Tout cela a produit un effet tout contraire à celui que messieurs les Polonais en attendaient, et j’ai vu les Courlandais prêts à tenir une conduite sans bornes et à jeter M. le staroste dans la rivière avec le rescrit pendu au cou, ce que j’ai heureusement empêché. Les Courlandais ont la tête aussi près du bonnet que les Français, et ils me paraissent très braves gens. Je ne sais comment tout cela finira; ce qu’il y a de très sûr, c’est que je n’en démordrai pas, et, si les Polonais m’attaquent, j’espère que ou les Moscovites ou les Prussiens voudront bien me prêter douze ou quinze mille hommes, sauf à moi à les entretenir aux frais et dépens de la république. Le parti des dissidens est assez fort en Pologne et se joindra bientôt à moi. Enfin l’affaire de Thorn n’est pas encore tout à fait assoupie[2]. Que sait-on? Je pourrai peut-tre me soutenir et les obliger à m’accorder la paix.

«Voilà ma situation, mon cher comte. J’ai trop d’opinion de votre amitié

  1. La phrase n’est pas claire; on est exposé à des méprises quand on rectifie l’orthographe de Maurice. Nous reproduirons ici le texte même, tel que l’a donné M. de Weber : « Dalieurs il ma falus des gants en Courlande pour portes la noblesse a une axion hardy, tout selas fait un prossais d’einquisition, cant la change tourne. Mon projet aitait et... »
  2. A Thorn, où catholiques et protestans se trouvaient en présence, le collège des jésuites avait été saccagé dans une émeute en 1724. Un tribunal exceptionnel composé de catholiques condamna les magistrats de la ville à la peine de mort. Le roi de Pologne eut beau agir par la persuasion ou la menace, il ne put empêcher ce jugement d’être exécuté. De là des ressentimens et des haines dont Maurice comptait profiter pour diviser l’ennemi.