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expédition; au fond du cœur, il applaudissait à cette juvénile audace et en désirait le triomphe. Quant aux Courlandais, ils raffolaient de lui. « Ils sont inébranlables, écrit-il encore à sa mère; ils ont juré de renouveler à mes côtés l’héroïsme de leurs ancêtres, les chevaliers de l’ordre teutonique. Ah ! soyez assurée qu’il y a ici de braves gens qui m’aiment de toute leur âme. » Le comte Pociey, grand-maréchal de Lithuanie, rassemblait à Kodveno, sur la frontière, plusieurs centaines de gentilshommes pour les lui envoyer au premier signal. Un des compagnons de Maurice, M. de Fontenay, dans une lettre adressée à un ami, et qui se trouve aux archives de Dresde, fournit des renseignemens sur ces préparatifs de Lithuanie et les fêtes qui les accompagnaient. Maurice vint trouver le comte Pociey à Kodveno ; il fut accueilli par cinq cents seigneurs et plus, entre autres les Sapiéha ; on convint de la marche à suivre, on conspira le verre à la main, et je ne sais quel souffle d’enthousiasme faisait déjà flotter les étendards. La réussite paraissait infaillible. « Les jésuites, dit M. de Fontenay, et autres gentilshommes, qui avaient des affaires en Courlande, ont demandé notre protection. » Mais c’est en Courlande surtout, et parmi les seigneurs les plus indifférens d’abord à cette candidature, que l’enthousiasme se propageait d’heure en heure. « Ma physionomie leur a plu, » écrivait Maurice à un ami d’Angleterre. M. de Fontenay, dans la lettre que nous citions plus haut, donne ce curieux détail : « A Mitau, on nous a donné une escorte de dragons et de houlans, qui seront à nos ordres tant que nous en aurons besoin. » La délibération de la diète, fixée au 26 juin, se préparait ainsi au milieu d’un immense élan de joie et d’espérance qui promettait à Maurice, non pas une élection seulement, mais une acclamation. Quel autre que le jeune héros de Stralsund pouvait assurer l’indépendance du pays contre tant de voisins redoutables et faire revivre les grands jours de l’ordre teutonique ?

Pendant ce temps-là, Lefort continuait de plaider la cause de Maurice auprès de l’impératrice Catherine, et Catherine subissait le charme, entraînée peut-être par les sympathies de sa fille non moins que par les raisons du diplomate. Nous lisons ces mots dans une lettre de Lefort en date du 11 juin ; « Si le comte de Saxe est élu duc de Courlande, on pourrait hardiment tenter un mariage avec la princesse Elisabeth. » Il ajoute que plusieurs seigneurs moscovites, « hommes de crédit et dignes de foi, » lui ont signalé la chose comme « faisable. » Maurice avait pourtant des adversaires fort sérieux à la cour de Russie. Le duc de Holstein-Gottorp, gendre de l’impératrice, qui avait des prétentions sur la Courlande, avait jeté feu et flamme dès l’arrivée du comte de Saxe au milieu des Courlandais. Le prince Menschikof était très irrité pour les mêmes mo-