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pourrait mettre obstacle au dénoûment de la comédie. Quelques mois après, tout a changé de face. Le prince de Saxe-Weissenfels est subitement éconduit, et le roi de Pologne, qui se croyait maître de la situation en Courlande grâce à l’appui du tsar, se trouve seul désormais en face de la Russie, de la Suède et de la Prusse coalisées. C’était l’époque où le téméraire ministre de Charles XII, le baron de Goertz, avait imaginé d’unir la Suède et la Russie, le vainqueur et le vaincu de Pultava, pour bouleverser l’Europe. Voltaire nous a fait connaître exactement les conditions préliminaires de cette alliance. « Le tsar, retenant pour lui toute la Livonie et une partie de l’Ingrie et de la Carélie, rendait à la Suède tout le reste; il s’unissait avec Charles XII dans le dessein de rétablir le roi Stanislas sur le trône de Pologne, et s’engageait à rentrer dans ce pays avec quatre-vingt mille Moscovites, pour détrôner ce même roi Auguste, en faveur duquel il avait fait dix ans la guerre. Il fournissait au roi de Suède les vaisseaux nécessaires pour transporter dix mille Suédois en Angleterre et trente mille en Allemagne ; les forces réunies de Pierre et de Charles devaient attaquer le roi d’Angleterre dans ses états de Hanovre, et surtout dans Brème et Verden; les mêmes troupes auraient servi à rétablir le duc de Holstein, et forcé le roi de Prusse à accepter un traité par lequel on lui ôterait une partie de ce qu’il avait pris[1]. » Mais ce que Voltaire ne savait pas et ce que nous révèlent aujourd’hui les archives des cabinets du nord, c’est l’étrange ballottement de la couronne de Courlande dans ce scrutin que dominent tant de combinaisons diverses. Le roi de Prusse s’était fait représenter aux conférences d’Aland, où se préparait entre les plénipotentiaires suédois et moscovites l’exécution des plans grandioses du baron de Goertz. Obligé de consentir à tout, il voulut au moins, comme on dit, tirer son épingle du jeu, et demanda que le duché de Courlande, ainsi que la main d’Anna Ivanovna, fût donné à un prince de sa maison, le margrave Frédéric-Guillaume de Brunswick-Schwedt. C’est alors que le tsar, oubliant le traité signé trois mois auparavant avec le roi de Pologne, substitua sans plus de façon le margrave de Brunswick au prince de Weissenfels. Le 5 mars 1718, le comte Golovkin, au nom du tsar Pierre, et le baron de Mordefeld, au nom du roi de Prusse, signaient à Saint-Pétersbourg une convention relative au mariage de la duchesse Anna Ivanovna et du margrave de Brandebourg. Voltaire nous montre encore ici combien il était sûrement informé de ces affaires du nord; toutes les pièces officielles publiées de nos jours confirment son récit en le complétant. « Le roi de Pologne, dit-il, vit l’orage qui grossissait de tous côtés... Flemming, le plus défiant

  1. Voltaire, Histoire de Charles XII, liv. VIII.