Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/648

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réunis, ce me semble, dans la lettre qu’on va lire. La duchesse d’Orléans était morte le 8 décembre 1722; huit jours après, Maurice écrivait au roi de Pologne :


« Madame est morte comme elle a vécu, c’est-à-dire avec toute la grandeur d’âme d’un héros et la philosophie d’un stoïcien. Elle a reçu tout le monde avec son air riant, dans son fauteuil, et a plaisanté jusqu’au dernier moment. Je l’allai voir la veille qu’elle expira, et elle me dit : Mein Vetter, wenn ihr den Könich in Pohlen sehn wert, grässt in von meinetwegen[1]. Je fis une très profonde révérence sans rien dire. Elle me dit : « Vous êtes bien triste. « Puis, continuant en riant : « Lest ir in der Bibel[2] ? » Je répondis que cela m’était permis. « Habt ir wohl das drile Capilel in Prediger Salomonis gelesen[3]» me dit-elle. «Vous pouvez pourtant me regretter, car j’ai toujours été de vos amis. » D’autres entrèrent, et je sortis le cœur serré, me mis dans ma chaise de poste et m’en retournai à la ville. Je songeais à ce qu’elle m’avait dit; en arrivant, je cherchai parmi mes livres une Bible; je trouvai le chapitre, qui est curieux. Je ne sais entre les mains de qui mon livre a été, et qui l’a paragraphé d’un bout à l’autre avec des notes laconiques. »


Cette main mystérieuse qui avait paragraphé la bible de Maurice de Saxe, qui l’avait semée d’annotations sans doute aussi expressives que brèves, comment Maurice ne le devine-t-il pas? C’était la main de la vieille princesse allemande essayant de guider son jeune cousin. «Toutes choses ont leur temps, et tout passe sous le ciel après le terme qui lui a été prescrit. Il y a temps de naître et temps de mourir, temps de planter et temps d’arracher ce qui a été planté. Il y a temps de tuer et temps de guérir, temps d’abattre et temps de bâtir. Il y a temps de pleurer et temps de rire; il y a temps pour l’amour et temps pour la haine... » Ainsi commence ce troisième chapitre de l’Ecclésiaste, chapitre curieux, comme dit le comte de Saxe, car le sage d’Orient, désabusé du monde, y étale avec une singulière indifférence la vanité des œuvres humaines. Rire ou pleurer, haine ou amour, les occupations des enfans des hommes n’ont-elles pas toujours même durée et même but malgré leur diversité apparente? La mort n’est-elle pas le terme de tout? « Et que retire l’homme de tout son travail? » L’Ecclésiaste va jusqu’à en conclure que l’homme n’a rien de plus que la bête, que leur sort est égal, qu’ils naissent de même les uns et les autres,

  1. « Mon cousin, quand vous verrez le roi de Pologne, saluez-le de ma part. »
  2. « Lisez-vous la Bible? »
  3. « Avez-vous lu le troisième chapitre de l’Ecclésiaste de Salomon? » — Nous avons laissé dans les phrases allemandes l’orthographe particulière à Maurice de Saxe, nous l’avons rectifiée dans la partie française du texte, sans rien changer au style. Bien que Maurice estropiât aussi intrépidement les deux langues, son orthographe française est plus barbare encore que son orthographe allemande. Si on ne prenait soin de la rectifier, ses lettres seraient souvent inintelligibles.