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divers degrés était en 1848, au moment de l’apparition du célèbre rapport de la commission sarde[1], de 12,366. Le fléau, pareil à un pesant brouillard, se traîne au fond de ces immenses crevasses des Alpes qui conduisent au Mont-Blanc, au Petit-Saint-Bernard et au Mont-Cenis; il s’y élève jusqu’à 1,200 mètres d’altitude, niveau moyen de la région crétineuse dans le massif de Savoie ; au-dessus de cette limite, sa malignité tombe, et il est refoulé en bas par les courans d’air vivifiant des sommets. Au débouché de la vallée, il s’épanche encore sur la plaine ; mais son intensité y cède bientôt à l’ouverture du bassin comme elle cède à l’altitude. La topographie du crétinisme a révélé un rapport singulier entre la nature géologique de la montagne et le degré de l’affection crétineuse : elle sévit à l’état endémique et permanent dans la vallée qui court le long du massif de formation primitive, tandis qu’elle ne sévit qu’à l’état sporadique et accidentel dans celle qui court le long des montagnes calcaires, toutes les autres circonstances restant d’ailleurs les mêmes, encaissement, profondeur de la vallée, configuration du sol, direction des vents et exposition. Les principaux foyers de l’infection sont situés invariablement au pied des massifs de protogyne dans les arrondissemens de Bonneville, de Moutiers et de Saint-Jean-de-Maurienne.

  1. Rapport de la commission créée pour étudier le crétinisme, 1 volume in-4o. Turin, imprimerie royale, 1848. — Aucun travail sur cette question ne saurait être comparé à ce mémoire pour l’exactitude des données statistiques, l’étendue et la variété des observations scientifiques et la masse des faits rassemblés. L’histoire de cette commission pendant les trois années qu’elle a été à l’œuvre dans les états sardes serait très intéressante au moment où la commission nommée par l’empereur va entreprendre une œuvre semblable en France. Dans ce petit royaume de Sardaigne, qui depuis a fait de si grandes choses, les années qui précédèrent la crise de 1848 furent marquées par un vif mouvement intellectuel. Le crétinisme surtout devint un objet d’étude. Laïques, ecclésiastiques, médecins, chimistes, géologues, philanthropes, administrateurs dirigèrent leur attention sur ce fléau des vallées des Alpes. C’est pour centraliser ces efforts individuels que Charles-Albert nomma cette commission, à laquelle, de la Savoie seulement, arrivèrent vingt-quatre mémoires, dont plusieurs ont obtenu un certain retentissement, et ont donné les résultats suivans sur l’étendue et l’intensité du crétinisme :
    Goitreux. Crétins goitreux. Crétins sans goitre.
    Maurienne 4,329 1,174 244
    Savoie propre 587 179 125
    Haute-Savoie 1,054 206 140
    Faucigny 741 316 188
    Tarentaise 2,160 455 168
    Chablais 133 42 45
    9,004 2,372 910


    Si l’on ajoute 80 individus que la commission a appelés crétineux, il y avait, en 1848, 12,366 personnes atteintes du goître, du crétinisme avec ou sans goître. L’intensité du fléau était donc de 21,32 par 1,000 habitans.