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Une branche importante de la production du Chablais, c’est la culture des arbres fruitiers. De véritables forêts de cerisiers couvrent, de Saint-Gingolph à Évian, les rives du lac. Au moment de la floraison, la contrée est enveloppée d’un nuage blanc et rose d’une délicatesse infinie, qui passe avec la saison au vert foncé, puis au rouge vif, et enfin au noir. La petite cerise noire est si pressée sur les hauteurs d’Évian et de Saint-Paul qu’elle donne au paysage ces teintes successives avant d’arriver à sa maturité complète. La récolte se fait aux premiers jours du mois de juillet. Chaque arbre de la forêt se charge tour à tour d’une troupe joyeuse d’enfans pour qui c’est une fête que cette vendange aérienne. Ils grimpent, légers comme des écureuils, remplissent leurs paniers de cerises luisantes qui vont s’entasser dans la cuve de macération. On en fabrique une eau-de-vie renommée qui est la principale production du pays. La fortune du cultivateur se compte par les tonneaux du précieux liquide qui tombe sous l’alambic, comme ailleurs on la compte par les têtes de bétail à l’étable ou les gerbes de blé à la grange. Les châtaigniers accompagnent les cerisiers dans cette partie de la Savoie. Ils descendent ensemble vers le lac, et ensemble serrent de près la vague, qui vient expirer sous le berceau de leurs branches vigoureusement projetées. Aux endroits où le lac laisse entre sa rive et la pente du coteau une surface en plaine, la force productive du sol se manifeste par des végétations colossales : les arbres fruitiers, le poirier, le noyer et le châtaignier, y atteignent un développement qui fait l’admiration du touriste. La plus grande partie des fruits de cette contrée féconde traversent le lac et s’exportent dans les villes de la côte de Vaud et à Genève. Les châtaignes surtout, dont la production annuelle est de 20,000 hectolitres dans l’arrondissement de Thonon, s’exportent en grande quantité en Suisse.


III.

Il faut s’élever dans les montagnes pour saisir les traits distinctifs de l’économie rurale de la Savoie. La densité du bétail, véritable richesse du pays, augmente à mesure qu’on s’élève, car elle n’est pas en rapport avec la richesse du sol, mais avec l’esprit industrieux des habitans. Le séjour de prédilection du bétail est dans ces charmantes vallées moyennes du Chablais et du Faucigny qui ont emprunté les usages et les soins intelligens de la Suisse. C’est là que domine la vache laitière, la nourrice de la Savoie, entourée de la sollicitude presque filiale des ménagères et des bergers, uniquement occupée à manger l’herbe fraîche de ces vallées humides et à donner son lait deux fois par jour. On se garde bien, de peur d’en