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forêts qu’un mauvais aménagement et les dilapidations avaient réduites en cépées et en broussailles sans valeur. La grande forêt de Lonnes, au sud-est de Thonon, fut attaquée de tous les côtés. C’était le Fontainebleau savoyard. Les comtes et les ducs de Savoie y venaient chasser le sanglier. Elle est même restée célèbre dans les annales de la Savoie par un mystérieux accident de chasse qui causa la mort d’Amédée VII, blessé, dit-on, par un sanglier devenu légendaire, mais qui ne put sauver d’une condamnation plusieurs seigneurs féodaux de la suite du prince. Aujourd’hui de misérables taillis ont remplacé les hautes futaies de chêne qui couronnaient l’amphithéâtre des collines au-dessus de Thonon ; des fermes nombreuses sont déjà jetées parmi les éclaircies, la culture des céréales envahit les plateaux de l’amphithéâtre, la vigne s’étend sur les pentes ; la limite inférieure du côté de la ville recule rapidement, et l’on voit sans regret disparaître cette forêt dévastée qui n’a rien conservé de son ancienne grandeur.

L’activité agricole se révèle par d’heureuses conquêtes sur les larges haies qui bordent les chemins vicinaux et les champs, sur les torrens et les rivières qu’on s’efforce de contenir par des digues et des plantations. Le delta formé par l’embouchure de la Dranse dans le Léman est rendu à l’agriculture du côté d’Amphion. Les cultures et la prairie, que précède la plantation d’acacias, de saules et de peupliers, rétrécissent d’année en année l’espace labouré par les bras de la rivière torrentielle. C’est à l’autre bord de ce delta qu’est situé, dans une enceinte de murs de 3 mètres d’élévation, le vaste domaine de Ripaille, qui peut servir de ferme-modèle à toute la région. Le cloître, transformé en bâtiment d’exploitation rurale, fut habité au XVe siècle par un prince de Savoie qui revêtit le froc du moine, non pour faire bonne chère, comme l’ont affirmé quelques historiens, sur la foi du proverbe vulgaire : faire ripaille, mais pour attirer l’attention du monde catholique et les regards des conciles, qui à cette époque faisaient et défaisaient les papes. Ce calcul d’ambition, que son siècle a appelé de la sagesse, lui réussit : il escalada le siège pontifical en passant par l’obscurité du cloître, et se servit du pouvoir spirituel pour investir sa maison de la haute juridiction ecclésiastique avec laquelle elle s’est défendue contre les empiétemens de la cour de Rome, si funestes aux autres principautés qui ont passé tour à tour sur le sol mouvant de l’Italie. Des enseignemens plus conformes aux idées de notre siècle sortent maintenant de l’enceinte murée de Ripaille. Les vignes, les prairies, les prés-vergers, les forêts aménagées en taillis et en futaies, les cultures qu’on y observe, marquent le point culminant de perfection auquel est arrivée l’économie rurale de ce côté du lac.