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et d’Allemagne. C’est à ce moment que firent leur première apparition dans l’assolement de la Savoie les prairies artificielles, qui venaient d’accomplir une heureuse révolution dans les cantons de Vaud et de Genève; alors aussi s’introduisirent les deux races bovines brune et tachetée, que nous retrouverons plus loin modifiées par les croisemens, puis les soins plus intelligens donnés aux prés naturels, l’égouttement des eaux du sous-sol par des conduits pleins en pierre ou vides en aqueduc, façon primitive du drainage qui a transformé en prairies naturelles de grandes étendues de terrains humides, noyés et tourbeux dans les hautes vallées. Cependant ce ne sont pas les belles terres de la partie en plaine de faire agricole décrite qui ont reçu d’abord ces innovations fécondes : elles se sont installées plus haut, à l’arrière-plan, dans les vallées supérieures qui descendent du massif du Mont-Blanc. Le progrès agricole, trouvant là des populations énergiques et d’un esprit ouvert, émancipées par les émigrations annuelles, a sauté par-dessus la plaine, où la condition morale et matérielle de la population, stationnaire et enchaînée, offrait de plus grandes résistances.

On n’a remarqué un certain progrès agricole sur la plaine qu’à dater de 1830. Vers cette époque, la charrue belge au soc triangulaire, mince et acéré se montra pour la première fois dans les fortes terres du Chablais et y remplaça l’ancienne charrue du pays au lourd avant-train, au soc obtus et aux versoirs démesurément écartés. Elle atteignit le sous-sol, qui n’avait jamais été mis au contact de l’air et de la lumière. Ces labours profonds excitèrent d’abord une défiance générale, qu’ils semblèrent justifier, jusqu’à ce que la couche froide, amenée à la surface par le nouvel instrument, eût été réchauffée, amendée, et eût reçu l’engrais nécessaire. Il fallut pour cela augmenter la prairie, multiplier les têtes de bétail sur la ferme, diminuer la surface emblavée. La nouvelle charrue plantée sur la plaine ébranla l’ancien système d’assolement et imprima à l’économie rurale une nouvelle direction. On s’attaqua ensuite aux espaces incultes qui occupaient, il n’y a pas quarante ans, le septième de la plaine du Chablais et du Bas-Faucigny. Les tattes qui bloquaient autrefois le canton de Genève, celles qui s’étendaient entre Bonne et la première ondulation du Petit-Salève furent progressivement envahies par les cultures; de la route qui les traverse, j’ai vu depuis vingt ans les deux bandes parallèles s’élargir chaque année devant la pioche, la pelle et la charrue, et la fumée s’échapper des fourneaux d’écobuage. Cet antique procédé d’amendement par le feu est très usité en Savoie sur les terrains vierges et sur les anciens prés froids, auxquels il donne une fertilité extraordinaire, mais de peu de durée. On défricha aussi les espaces occupés par des