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bien-être, il le dissimule avec soin, de peur que son propriétaire n’élève des prétentions à une part plus grande sur les produits de la basse-cour et du bétail. Cette crainte n’est pas fondée le plus souvent, mais elle pèse visiblement sur l’esprit du métayer. La porte de l’habitation est bloquée par les résidus de l’étable, laissés à l’abandon, nuisibles à la santé publique, desséchés par le soleil ou lavés par la pluie, sans cesse dépouillés de leurs meilleurs principes, qui sont entraînés au ruisseau et du ruisseau à la rivière. La quantité de matières fertilisantes enlevées ainsi au domaine agricole est incalculable. Le bétail est peu nombreux comparativement à l’étendue de la ferme, car la prairie artificielle y tient peu de place, le fourrage manque, et l’on est obligé de labourer avec la vache, qui ne semble pas faite pour cette pénible fonction, qu’une sage économie rurale réservera toujours au bœuf. La surface en céréales est beaucoup trop grande : le quart de la terre cultivée est en seigle, en blé, en maïs, en sarrasin ou en pommes de terre. Cette rotation, qui ramène tous les quatre ans des cultures épuisantes sur le même champ avec une charge d’engrais nécessairement insuffisante, est encore trop commune dans le bassin de Chambéry et celui d’Yenne. Elle s’étend d’une année et même de deux en avançant sur la Haute-Savoie, et dans le bassin du Léman, où les principes de l’agriculture suisse ont pénétré, la rotation ne s’accomplit généralement qu’en sept ans.

La ferme que nous avons prise pour point de comparaison marque le dernier degré de l’agriculture dans la Savoie méridionale. On peut être assuré qu’elle appartient à un propriétaire qui n’y fait que de rares apparitions, indifférent au progrès agricole et n’ayant qu’une préoccupation, celle de tirer la plus grosse part des produits. Telle n’est pas la situation de toutes les fermes. À côté de celle-là, il y en a qui se distinguent par la belle apparence des cultures. L’intérêt pour les choses rurales s’est réveillé chez les grands propriétaires à la suite des concours de régions, de départemens et de cantons. Ils interviennent plus activement dans la tenue de la ferme, ils introduisent des machines et des instrumens nouveaux, des races perfectionnées de bétail ; ils pèsent sur leurs métayers pour leur faire adopter un assolement plus rationnel. Les fabricans de machines agricoles ont pu s’apercevoir du réveil de l’agriculture en Savoie par les placemens qu’ils ont faits après le concours régional de Chambéry : il a été placé plus de cinquante machines à battre de divers modèles dans les quatre mois qui ont suivi la tenue du concours, et sur la seule aire agricole du bassin de Chambéry. Les fermes sont déjà nombreuses où l’œil rencontre un tas de fumier bien situé, relevé soigneusement, et à côté une fosse cimentée au