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trèfle. Cette précieuse plante fourragère a modifié le système de l’assolement; au lieu du repos stérile de la jachère, elle a donné le repos fécond de la prairie; elle a multiplié les têtes de bétail à l’étable et les charges d’engrais sur le champ; enfin, par la vigueur que le blé acquiert en lui succédant, il a triomphé du climat, et 40 communes d’une population de 50,000 habitans, situées entre 800 et 900 mètres d’altitude, le cultivent maintenant sans danger, et peuvent introduire une certaine proportion de farine blanche dans le mélange noir d’avoine, d’orge et de seigle qui compose le pain dont elles se nourrissent.

L’annexion a amené en Savoie une plante nouvelle qui n’y avait jamais été cultivée. Le tabac a été accordé d’abord au canton de Rumilly, puis à l’arrondissement de Chambéry. L’importance de ce fait agricole ne consiste pas uniquement dans les beaux bénéfices que donne la culture du tabac, mais, en s’étendant à un pays où l’empire de la routine est encore très solidement établi et en y arrivant sous la sanction du règlement et des visites fréquentes des agens de la régie, elle y produit un ébranlement général dans les procédés agricoles et un mouvement d’amélioration qui se communique à tous les détails de l’exploitation. Le cultivateur est pour ainsi dire forcé, par le monopole dont il est investi, à des soins assidus et méthodiques, à des labours convenables qui ne peuvent être accomplis que par des instrumens perfectionnés; l’habitude de l’activité industrieuse qu’il contracte dans cette culture privilégiée se fait sentir dans les cultures ordinaires, et, quoique restreint à une faible partie de la région des céréales, le tabac y provoque une généreuse émulation qui gagnera bientôt toute la région.

La région du blé renferme presque toutes les terres cultivées, car au-dessus de 900 mètres commence le régime pastoral où la surface labourée fait place au pâturage et aux prairies naturelles de la montagne. Elle se divise en plusieurs aires agricoles caractérisées par le même système d’agriculture, les mêmes animaux de labour et les mêmes instrumens. La première qu’on rencontre du côté du midi, dans le département de la Savoie, est celle de la Maurienne, étroite bande de terrain presque tout entière formée de cônes appuyés aux deux côtés de la vallée. Ces terres légères se laissent facilement entamer par l’antique araire, sans avant-train ni contre. Rien de plus simple que la construction de cet instrument : deux pièces de bois, l’âge et le cep armé du soc, se rencontrent sur une troisième pièce qui se relève en se bifurquant, telle est la charrue employée dans la Haute-Maurienne et dans la Tarentaise. Deux mulets traînent d’un pas dégagé le frêle instrument qui mord à peine le terrain léger et graveleux. Lorsque la résistance est trop forte,