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expositions. Au bas de ces cônes de vigne, à chaque plissement du sol, se cache un cellier, petite maisonnette renfermant la cave, le pressoir et une pièce nue où l’on vient, le dimanche, boire le vin blanc capiteux et alcoolique des Abîmes. C’est la promenade traditionnelle de la population ouvrière de Chambéry, promenade qui prend à certaines époques le caractère d’un pèlerinage de dévotion qu’égaie toujours le petit vin blanc. Là, au bord du vignoble des Abîmes, sur une haute colonne, se dresse la statue dorée de la vierge de Myans, la patronne de la contrée, la rivale de Fourvières et du Puy : monument remarquable par ses proportions, élevé aux frais des fidèles en 1855 et destiné à perpétuer la protestation des évêques et du clergé de la Savoie « contre un gouvernement impie et persécuteur de l’église, » comme dit un mandement collectif publié à cette époque. Indépendamment du pèlerinage et du vin blanc, cette promenade a des attraits souverains sur les esprits ouverts à l’admiration des beautés de la nature alpestre. Du milieu de ces vignes tourmentées, on peut se donner à volonté, en se tournant à droite ou à gauche, le spectacle des sublimes entassemens de rochers et des plus riantes perspectives. La vue s’arrête tour à tour sur le flanc droit et menaçant du Granier, laissé à découvert par la chute de la partie écroulée, ou sur la riche vallée du Graisivaudan, sillonnée par le cours lumineux de l’Isère, qui étincelle au soleil, ou sur les neiges lointaines des Alpes dauphinoises, et plus près, en face des Abîmes, sur la montagne de Montmélian, qui surplombe de magnifiques coteaux, où la vigne grimpe à 400 mètres au-dessus du thalweg de l’Isère. Un autre genre de séduction attire sur ce vignoble les épargnes du petit commerce de Chambéry : son extrême division l’a rendu accessible à tous les capitaux; c’est pour ainsi dire le vignoble du pauvre, tandis que celui d’en face, Monterminod, Cornioles, Chignien et Montmélian, appartient aux riches, aux grands propriétaires de Chambéry. Il y a toujours quelques lambeaux des Abîmes à vendre à l’amiable ou par expropriation, car l’habitude de la petite industrie de placer là son argent a parfois des conséquences fatales : une vigne et un cellier sont une occasion de perte de temps et de nombreuses dépenses, et bien des situations mal fondées finissent par la faillite pour avoir voulu se donner ce passe-temps.

La situation fortement inclinée de la plupart des coteaux de la Savoie les expose à un désastre très fréquent, aux érosions pluviales et aux ravinemens torrentiels, qui entraînent la couche végétale, arrachent le cep et ne laissent que le sous-sol de roc. Pour prévenir ce désastre, le vigneron suisse a brisé la pente générale de ses coteaux par une série de petits plans légèrement inclinés que soutien-