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tait donc écarté ni des règles constitutionnelles ni des précédens parlementaires, et il avait le droit de compter sur une adhésion semblable.

Pitt était dans le vrai. Quelles que soient en effet les limites dans lesquelles peut être resserré le pouvoir exécutif par le contrôle des assemblées représentatives, il est impossible, sans risquer de compromettre les plus graves intérêts du pays, de lui refuser la faculté de pourvoir à des besoins imprévus par des crédits extraordinaires. Les garanties contre l’abus de cette faculté doivent se trouver dans la responsabilité des ministres ordonnateurs et l’obligation pour eux de soumettre dans un bref délai à la sanction législative les dépenses qu’ils ont faites sans autorisation. Une majorité a beau être dévouée à un ministère, il est des questions sur lesquelles, responsable elle-même envers le corps électoral, elle se montrera toujours sévère, et les ministres s’abstiendront avec soin de faire toutes dépenses qui, devant leur attirer avec les attaques de leurs adversaires les censures de leurs amis, pourraient compromettre leur personne, et dans tous les cas l’existence du cabinet. Or tel est, il faut le reconnaître, l’avantage du gouvernement parlementaire, que si, par entraînement ou par esprit de parti, il peut s’y commettre des erreurs qu’un revirement d’opinion peut bientôt corriger, du moins le pays ne se trouve pas à la merci d’une seule volonté et n’est pas exposé, pour la satisfaction d’une idée ou d’un sentiment personnel, à être lancé dans des entreprises plus ou moins conformes à sa dignité et à ses intérêts.

Une autre question financière et constitutionnelle d’égale importance donna lieu aussi à une vive discussion. Pitt avait introduit de grandes améliorations dans la comptabilité des recettes et dépenses publiques. Reposant désormais sur les bases les plus authentiques, les comptes étaient rédigés avec autant de soin que d’exactitude, et présentés dans une forme claire et simple. Il n’y avait donc plus moyen de déguiser la moindre irrégularité dans l’emploi des crédits alloués. Or l’examen de ces comptes montra que des fonds avaient été affectés à un tout autre usage que celui pour lequel ils avaient été votés. En conséquence, Grey soumit à la chambre plusieurs chefs d’accusation par lesquels les ministres étaient inculpés d’avoir violé le droit d’appropriation, l’un des privilèges essentiels du parlement.

Pitt ne contesta pas le privilège de la chambre, et il justifia par les besoins impérieux des services la nécessité où il s’était trouvé de l’enfreindre. Il rappela que plusieurs de ses prédécesseurs avaient fait comme lui dans des circonstances analogues, et que le parlement, après les avoir entendus, avait approuvé leur conduite. Tout en se livrant à des attaques plus ou moins vives, plus ou moins fon-