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cordial, et il lui donne le nom de fils, car il ne désire plus pour le reste de ses jours que de se reposer tranquille à l’ombre de sa gloire[1]. Cependant sa fille, la jeune Heydé, n’a pas vu sans regret l’arrivée des étrangers dans ses montagnes. « Mon bras est plein de vigueur, dit-elle à son vieux père. Souvent, dans la profondeur des forêts, j’ai combattu des ours aussi grands que des géans... Donne à ta fille ta flamboyante épée, et tu verras que, toujours digne de toi, je saurai sauvegarder ton royaume envahi. » — Ainsi parle la belle Heydé. Le vieillard, souriant sous sa barbe argentée, prend la main de sa fille et lui répond : « Je vois bien que ton cœur virginal renferme un courage digne des plus braves guerriers; mais toute pensée de combat doit être désormais bannie de ce séjour. S’il s’agissait de défendre le trône et la patrie, le vieux Gylfe ne resterait pas oisif dans sa tranquille demeure : il saurait encore écrire bien des caractères sanglans; mais j’ai juré le serment de paix aux hôtes nouveau-venus, et mon épée ne sortira jamais du fourreau contre une race qui descend des dieux. » — Pressant ensuite sa fille entre ses bras, il lui dit : « Comme le jeune pin du fond des vallons entourés de pics glacés élance fièrement sa tête au-dessus des frimas, tu as grandi, chère Heydé, noble image des hommes vaillans qui aiment le glaive, la patrie et la gloire. Toutefois le casque serait trop lourd pour ta blonde chevelure et ton front virginal. Un jour aussi tes sentimens belliqueux céderont à ce bienfaisant soleil qui allume l’amour dans le cœur de la vierge. »

La parole du roi s’est accomplie. Le fils d’Odin, Sigurlam, épris de la jeune Heydé, a mérité, par ses exploits, la main de la jeune fille. Le bonheur des deux époux est sans nuage, et le poète en chante les joies avec attendrissement. Cependant Sigurlam succombe bientôt dans les combats, et c’est ici que les vers du roi de Suède ont des accens profonds. A peine le fils d’Odin a-t-il rendu le dernier soupir, que son barde fidèle entonne ce chant funèbre : « mon bon glaive, tu as été pour moi un frère loyal. J’ai prêté le serment de ne jamais fuir le combat. mon bon glaive, tu sais que j’ai tenu ma parole. Dans maintes batailles, tu tombas terrible sur les casques. O mon bon glaive, tu t’es souvent plongé dans le sang, tu as fait périr bien des guerriers. Ta lame est fine et tranchante, bien des poitrines percées de part en part en font foi. O mon bon glaive, tu m’as constamment accompagné dans des campagnes lointaines, lorsque la barque de la guerre, fendant les vagues, emmenait mon prince vainqueur. mon bon glaive, livre-moi maintenant à la mort, à ma dernière campagne victorieuse, et que ta pointe se repose au fond du cœur du barde fidèle ! » — Ainsi résonnent dans la nuit solitaire les accens du scalde; l’épée brille, pâle comme la lune nouvelle; il la saisit d’une main vigoureuse, et déjà le sang com-

  1. Le roi Gylfe et Odin font penser au vieux roi Charles XIII adoptant Bernadette. « Dieu m’a magnifiquement récompensé, disait le monarque suédois, d’avoir sacrifié mes sentimens personnels au vœu de mon peuple. J’ai reçu de mon peuple un fils tel qu’il me le fallait pour être le plus heureux des pères et le plus heureux des rois. »