Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/512

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeunes gens de l’université d’Upsal, ardens et convaincus, donnèrent le signal d’une brillante renaissance. Deux journaux, le Polyphème et surtout le Phosphoros, prirent pour tâche d’établir l’indépendance littéraire de la Suède. Bernadotte, devenu roi, vit avec sympathie ce mouvement intellectuel; il fonda de nombreux établissemens destinés à l’instruction publique, et les universités obtinrent de nouvelles chaires d’enseignement. Jamais aucun souverain en Suède n’avait fait d’aussi grands sacrifices sur sa fortune particulière pour la protection des lettres et des arts. Geier, par ses grands travaux historiques, et Tegner, par ses poésies, firent revivre les traditions de la patrie, et Frithiof, le célèbre poème de Tegner, dont M. Hippolyte Desprez a publié en France une traduction remarquable, devint dès son apparition un poème national.

Danois, Suédois et Norvégiens ont entre eux des affinités profondes. Les habitans de la Norvège et du Danemark ont la même langue écrite, et ceux de la Suède s’entendent plus facilement avec les Danois que les Espagnols avec les Portugais. Le ressentiment causé au Danemark par l’annexion de la Norvège à la Suède, en 1814, s’effaçait de plus en plus. Les étudians des universités d’Upsal, de Lund, de Christiania, de Copenhague, commençaient à entretenir des rapports de sympathie et d’amitié. Le successeur de Bernadotte, le roi Oscar, favorisa ouvertement ces manifestations. En 1856, il reçut au château de Drottningholm près de neuf cents étudians de ces diverses universités, et leur adressa ces paroles : « Ils sont loin de nous les temps où des préjugés déplorables et des intérêts mal entendus armaient les uns contre les autres des frères d’une même race... De ces souvenirs tristes et instructifs, il ne reste plus que ce qui est glorieux. Les champions du Nord ont éprouvé leurs forces respectives, et ils ont appris à estimer mutuellement leur courage... Maintenant le Danois visite le Suédois, le Suédois le Norvégien, non plus les armes à la main et la haine dans le cœur, mais avec des paroles de paix et de réconciliation, et Dieu, dans sa bonté, bénira leur fraternité fidèle et indissoluble. »

Le prince qui tenait ce noble langage était digne, par l’élévation de son esprit, de diriger dans les voies du progrès la jeunesse scandinave. Il s’était voué lui-même à l’étude avec un zèle infatigable, et il était sans contredit un des savans les plus distingués de son royaume. Pendant qu’il publiait ses ouvrages sur le Commerce des grains sur l’Éducation du soldat en temps de guerre et son Traité des peines et des prisons, le prince royal et le prince Oscar son frère s’adonnaient avec succès au culte de la poésie nationale. En 1858, l’académie suédoise découvrit que l’auteur anonyme d’un poème qui venait d’être couronné était le second fils du roi, le prince Oscar.

Malgré certaines réminiscences qui rappellent tantôt les Nuits d’Young, tantôt les ballades d’Henri Heine ou les Méditations de Lamartine, ces légendes ont une couleur particulière et vraiment indigène. C’est bien là cette poésie rêveuse qui, tenant à la fois du génie allemand et de celui des