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drait la porte de la maison mortuaire. A la gare du Nord s’élevait un cénotaphe entouré de lampadaires d’argent. Derrière le cénotaphe, on voyait le wagon funèbre qui devait emporter les restes du maître. A l’arrivée du cercueil, un mouvement s’est produit dans la foule, et tout le monde s’est découvert devant ces illustres dépouilles. Les artistes de l’Opéra ont exécuté la Marche de Schiller, la marche du Prophète, et celle du Pardon de Ploërmel. Parmi les discours qui ont été prononcés ensuite, il est un passage qui m’a frappé surtout : « Que le nom de Meyerbeer, que le souvenir de notre deuil, a dit M. Ollivier dans une improvisation chaleureuse, soient un gage d’union entre deux nations sœurs que rien ne devrait diviser, et qu’un lien fort et durable s’établisse de plus en plus entre la patrie de Mozart et de Beethoven et celle d’Hérold, d’Halévy et d’Auber! » Il sera peut-être difficile de faire deux sœurs de deux nations qui n’ont eu ni la même mère ni le même père. Ce qui est certain, c’est que Meyerbeer n’a jamais eu en Allemagne la popularité dont il a joui en France pendant quarante ans. Son œuvre a été souvent contesté par un grand nombre d’écrivains, par des artistes et des musiciens, qui lui reprochaient de n’avoir écrit que pour un peuple étranger et ennemi de leur indépendance. Il n’est pas jusqu’à Schumann qui ne se soit permis d’attaquer un si grand musicien, dont il n’était pas digne de comprendre les pages et les scènes admirables.

Meyerbeer, on le sait, a composé pour l’Opéra-Comique deux ouvrages qu’il serait injuste d’oublier. L’Étoile du Nord, opéra en trois actes, fut représentée en février 1854, et le Pardon de Ploërmel dans le mois de décembre 1859. C’était un grand événement musical que cette invasion de l’auteur de Robert le Diable, des Huguenots et du Prophète dans le paisible domaine des Monsigny, des Grétry, des Boïeldieu, de M. Auber. Quelques-unes des réflexions qu’il m’inspira n’ont rien perdu de leur vérité, et on me permettra de les rappeler. Comme je le prévoyais, l’Étoile du Nord a fait époque dans l’histoire de l’art musical. A quelque point de vue qu’on se place, soit qu’on approuve entièrement les tendances de Meyerbeer, soit que l’on condamne sa trop grande préoccupation des effets dramatiques, on ne peut méconnaître la portée de cette tentative d’un grand musicien pour franchir le détroit qui sépare l’académie de musique fondée par Louis XIV du théâtre modeste qui naquit un jour du vaudeville émancipé. Ce sont là deux genres bien différens, qu’il est bon de maintenir séparés. Si l’Opéra, tel qu’il existe en France depuis Lulli jusqu’à Gluck, et depuis Gluck jusqu’à Meyerbeer, est moins un théâtre national qu’une grande institution dramatique, qu’une véritable académie ouverte à tous les talens supérieurs de l’Europe, dans le genre vraiment national de l’opéra-comique, qui est une heureuse alliance de la comédie et de la musique, de la gaîté, de l’esprit et du sentiment, on n’a guère vu réussir que des compositeurs français. Quelques musiciens italiens s’y sont essayés, non sans bonheur : Duni au XVIIIe siècle, Cherubini, Spontini, et de nos jours Donizetti et Paër, dont le Maître de chapelle est un petit chef-d’œuvre; mais ces exceptions