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foi ! répondit-il, monsieur, il semble qu’on l’ait faite exprès pour vous. On ne peut rien voir de plus gracieux. Lorsque je lui ai remis le coffret de votre part, d’après les ordres de M. le baron, elle s’est troublée, elle a rougi. — Est-ce bien lui, m’a-t-elle demandé, qui vous a chargé de m’apporter ceci ? — Eh ! qui voulez-vous donc que ce soit, mademoiselle ? — C’est juste, je ne sais à quoi je pense. — Et tout en parlant elle déroulait le collier, l’admirait, le mettait à son cou, et tandis que je tournais la tête, elle l’a porté doucement à ses lèvres.

— Collier malencontreux ! murmurai-je ; baron maudit, de quoi te mêles-tu ? — Et j’ajoutai tout haut : — C’est ridicule ! Mlle  Chantoux ne se marie que pour porter des diamans !

George me regarda surpris. Je vis bien dans ses yeux qu’il n’était pas dupe de ma fausse manœuvre. Il sentait qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire ; mais, ne pouvant rien deviner, il prit le parti de se taire et d’attendre.

— Aujourd’hui, lui dis-je, après la cérémonie, nous nous rendons au château de Saverne. Tu me précéderas ; tu iras droit à Montfort, qui est peu éloigné du château. Là, tu feras préparer des chevaux de poste pour minuit, et tu m’attendras. Je vais à Évreux, entends-tu ?

— Ah ! fit-il, toujours plus étonné, nous achevons la noce à Évreux ? C’est bien.

Triste noce ! Tout cependant se passa dans l’ordre habituel. Aucun incident de nature à dévoiler le fond des choses ne troubla le discours du maire et le chant mélancolique de l’orgue. La fiancée était un peu pâle sous sa couronne d’oranger : quant à moi, je fus d’une gravité de sphinx dans ma cravate blanche. Enfin nous prîmes la route de Saverne, suivis par une longue file de voitures.

Le baron eut l’ingénieuse idée de se glisser dans le même coupé que ma femme et moi. Je lui sus gré de cette audace, qui fit beaucoup jaser les dames ; il me sauva par là d’un tête-à-tête que je redoutais. Blottie au fond de la voiture, enveloppée dans un manteau de voyage, triste et morne, la comtesse sentait bien elle-même ce que notre situation respective avait d’embarrassant. J’eus presque pitié d’elle, et il me passa dans l’esprit l’étrange fantaisie de me rendre haïssable à ses yeux pour adoucir à tout hasard les regrets que mon départ pourrait lui causer. Je saisis l’occasion de quelques flatteries du baron à mon adresse pour me représenter du plus mauvais côté et me peindre comme un homme brutal, entêté, maussade, et si horriblement susceptible sur certains points que je ne pouvais vivre avec personne. Le baron, qui avait ses raisons pour me contredire, s’avisa de faire mon éloge. Je l’interrompis