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somme, passer pour neutre. Restent l’Angleterre, la France, la Russie, l’Italie. De ces quatre puissances, les trois dernières sont favorables à la Serbie et en général aux nationalités orientales : seule l’Angleterre leur est ouvertement hostile.

Un préjugé très répandu et très faux, c’est que les Serbes nourrissent un attachement traditionnel et exclusif pour la Russie, tandis qu’ils sont animés d’un sentiment de défiance à l’égard des puissances occidentales. Sans doute, à une certaine heure, l’influence russe a prédominé à Belgrade; cette prédominance tenait à plusieurs causes, d’abord à une sympathie naturelle, produite par la communauté d’origine et de religion, ensuite au prestige que la Russie exerçait en Orient, au souvenir de ses victoires sur les Turcs, à l’indifférence que la France avait toujours témoignée à l’endroit des populations orthodoxes de la Turquie. Ce fut sous l’ancienne monarchie une constante et déplorable tradition de notre diplomatie à Constantinople de se préoccuper exclusivement des intérêts catholiques en Orient. A peine, dans les longs rapports de nos ambassadeurs, est-il fait mention des Serbes, des Bulgares, des Moldo-Valaques. On s’occupe un peu plus des Bosniaques et des Albanais, parce qu’il se trouve parmi eux quelques catholiques. En revanche, le Liban, les Maronites, les lieux-saints sont le sujet d’amples volumes : qu’une rixe éclate dans la montagne, qu’on dérange un tapis, un chandelier dans un de nos sanctuaires, la diplomatie française prend feu; mais qu’à la fin du XVIIe siècle quarante mille familles serbes, conduites par leur patriarche, émigrent en Hongrie, où l’empereur Léopold les dote de privilèges qui forment encore aujourd’hui la grande charte des Serbes autrichiens, c’est à peine si l’ambassadeur consignera ce fait dans sa correspondance. La révolution française, malgré la forte secousse qu’elle imprimait aux esprits en Orient, ne modifia pas beaucoup cet état de choses. Napoléon, nous l’avons vu, ne donna point suite au projet de se rapprocher de ces populations; seule la Russie s’occupa de bonne heure des Serbes, qui, déçus dans leurs espérances, acceptèrent l’appui de Pétersbourg.

Ce qu’il en advint, on le sait. Les Serbes n’étaient entre les mains russes qu’un instrument, une sorte de bélier pour battre en brèche Constantinople. Les habiles parmi eux, ceux qui conduisaient les affaires, ne s’y trompèrent pas, Miloch moins que tout autre, et ils mesurèrent exactement la reconnaissance au bienfait; mais le peuple, incapable de pénétrer les vues secrètes de la Russie, ne voyant que les résultats apparens, les concessions arrachées aux Turcs et stipulées dans les divers traités, depuis celui de Kaïnardji jusqu’à celui d’Andrinople, voyant surtout les monastères dotés, les églises