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le nom, était le beau-père et non le père de Miloch. Du reste, la principauté ne pourra former le faisceau serbe qu’après s’être délivrée des Turcs; ce sera là évidemment sa première étape. Avant de revendiquer ses frontières historiques, il faut qu’elle soit rentrée en possession de son propre territoire; tant que le drapeau ottoman flottera à Belgrade, à Sémendria, à Chabatz, non-seulement la Serbie ne pourra prendre la tête du mouvement, mais elle aura un mal infini à se mouvoir dans le cercle restreint de son autonomie. Qu’on ne cherche pas d’autre preuve de cette situation pénible que le bombardement de Belgrade en juin 1862. Chacun a encore présent à l’esprit le souvenir de cet accident, comme l’appelle la diplomatie turque, accident qui, sans la prompte et énergique intervention de notre consul-général en Serbie, M. Eug. Tastu, eût anéanti en quelques heures une ville de près de 25,000 âmes. Plus d’un édifice à Belgrade, notamment le palais archiépiscopal, qui fait face à la métropole, porte encore la trace des boulets. Les Serbes gardent soigneusement ces stigmates qu’un peu de plâtre eût pu effacer; ils les montrent aux étrangers comme un témoignage de la barbarie des Turcs, et ils ont là un argument toujours prêt contre l’existence de la forteresse. « Vous voyez, me disait l’un d’eux, voilà ce que nous ont fait les Turcs! » Puis, étendant la main vers les murs blancs de la forteresse garnis d’une double rangée de canons : « Malheur! vivre avec une telle épée de Damoclès sans cesse suspendue au-dessus de sa tête, est-ce vivre? C’en est fait à jamais de notre industrie, de notre commerce[1], des embellissemens de notre cité ! Qui voudrait risquer des capitaux dans une entreprise, bâtir de nouvelles maisons, dans une ville placée, comme celle-ci, à la bouche du canon ennemi? » A ces plaintes trop vives pour n’être pas un peu exagérées, je crus pouvoir répondre que la conférence de Constantinople venait de prescrire certaines mesures bien propres à garantir la sécurité de la ville, par exemple la démolition des anciennes portes, l’élargissement de l’esplanade, la réduction de l’effectif de la garnison, etc. « Ah! monsieur, reprit-il, vous croyez cela! Ne savez-vous pas, au contraire, que la garnison n’a jamais été aussi nombreuse, que la forteresse est armée jusqu’aux dents, qu’il arrive chaque jour une quantité de canons, de matériel de guerre, de munitions? Hier encore j’ai vu deux chalands venant de Semlin aborder à la nuit tombante près de la Neboïcha et débarquer des piles de boulets et d’obus. » Cet homme était-il de bonne foi dans ses discours? Je ne

  1. Les importations de Belgrade durant le second semestre de 1861 s’élevaient à 31 millions 1/2 de piastres turques; pendant la période correspondante de 1862, qui a suivi le bombardement, elles tombèrent à 16 millions. The Debate, etc., p. 15.