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vers le milieu du XIVe siècle, ces territoires et quelques autres que les Slaves possèdent actuellement en commun avec les Grecs formèrent un unique et puissant état sur lequel régnait l’empereur serbe Etienne Douchan, surnommé Silni, le Fort. Douchan est le Charlemagne serbe; il est représenté sur les monnaies portant dans une main le globe surmonté de la croix. Législateur autant que conquérant, il promulgua un code de lois célèbre (1349), fonda l’indépendance de l’église serbe, institua un ordre de chevalerie, et remplit tout l’Orient de sa renommée; mais, comme Charlemagne, il put voir poindre de son vivant les germes de dissolution qui amenèrent le démembrement de son empire et préparèrent la conquête des Turcs (1389).

Chaque peuple a son idéal qu’il poursuit. Les Grecs rêvent le rétablissement de l’empire de Constantin : c’est la grande idée qui naît à la fin du XVIIe siècle, à l’avènement des Phanariotes. Les Serbes, à leur exemple, rêvent la reconstitution de l’empire de Douchan; mais ils ne comptent pas accomplir d’eux-mêmes et d’un seul coup cette grande entreprise. Isolés comme ils le sont, sans communication avec l’Occident, entourés de tous côtés par leurs ennemis, serrés et comme étouffés entre les deux empires qui se sont accrus de leurs dépouilles, ils sentent qu’ils ne peuvent échapper à cette double étreinte sans une forte secousse extérieure qui rompra le cercle qui les emprisonne. Ils savent aussi que les nationalités qui ont été entamées ou brisées par la conquête ne sauraient se reconstituer en un jour, et que le dur labeur de leur restauration ne se fera, en quelque façon, qu’à bâtons rompus et pièce à pièce. Voilà pourquoi les Serbes de la principauté, sans perdre de vue leur objectif définitif, savent ajourner et restreindre leurs espérances. Ils ne parlent pas de marcher sur Constantinople ou sur Vienne ; ils ne méprisent pas l’Autrichien ni même le Turc, bien qu’ils ne l’aiment guère l’un et l’autre. Justes envers leurs ennemis, ils respectent les .droits de leurs voisins, et ne songent pas à s’annexer de force les Croates ou les Bulgares. Laissant au temps le soin d’accomplir son œuvre, leur ambition ne va qu’à fonder, — et encore moyennant toute sorte de délais et de concessions, — l’unité serbe, certains que de l’unité serbe sortira à son tour l’unité iougo-slave.

Restreint dans ces limites, le programme des Serbes de la principauté n’a rien d’excessif. Il est clair que le petit état gouverné par le prince Michel exerce sur les contrées serbes limitrophes une action assez décisive. Il possède seul un gouvernement à lui, une administration à lui, une armée, des finances à lui; c’est donc un véritable état, tandis que la Bosnie, l’Herzégovine et la Voïvodie ne sont guère que des pachaliks turcs ou des provinces autri-