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pas fallu que dans chaque village le sous-préfet ou ses aides, chargés de donner lecture de l’ordonnance, expliquassent aux anciens pourquoi le gouvernement voulait acheter des armes, quel usage il comptait en faire, comme si le gouvernement pouvait vouloir une chose qui ne fut pas juste ou utile au pays! »

Ce qui contribue encore en Serbie à faciliter l’exécution de la loi, c’est qu’elle est la même pour tous. Ici point de classes privilégiées comme en Hongrie ou en Moldo-Valachie avant 185S, point d’aristocratie nobiliaire et territoriale. On demandait à un Serbe s’il y avait des nobles dans son pays : « Tout Serbe est noble, » répliqua-t-il. La propriété, très divisée, est accessible à tous. Le paysan serbe n’est point, comme le paysan roumain, un simple tenancier n’ayant que l’usufruit du champ qu’il cultive, et ne disposant pour lui-même que de la portion la plus minime de son travail : il est le maître absolu de sa terre et de ses bras; aussi est-il vif, alerte, dur aux fatigues et prompt à courir aux armes. L’expression de tristesse qui assombrit la physionomie du paysan roumain, cette apathie qu’on lui reproche, font place, chez le Serbe, à un air de franchise et de dignité naturelle qui frappe tous les voyageurs[1]. Alors même que le hasard l’amène en présence du kniaz, il ne se sent embarrassé ni dans sa contenance ni dans son langage. Le kniaz n’est pas un maître devant qui l’on doive trembler; c’est le père de la nation, son autorité sur ses sujets est celle d’un chef de famille, d’un staréchina, sur les divers membres de la zadrouga (maison). Lorsqu’il s’adresse au peuple assemblé, il dit : « Mes frères! Que Dieu vous soit en aide, mes frères! » Telles sont les paroles par lesquelles le kniaz salue le premier la skouptchina réunie en plein air. Après la réponse unanime : « Que Dieu t’aide, gospodar! » le chef reprend : « Comment vous portez-vous, mes frères? Êtes-vous bien portans? — Dieu merci, bien, et toi, gospodar, comment te portes-tu? » Et le chef continue : « Comment se trouve le peuple? Et tout le monde se porte-t-il bien chez vous? »

Un des plus précieux auxiliaires du gouvernement en Serbie, c’est le clergé. Le révérend W. Denton cite un grand nombre de particularités relatives à l’église serbe. « En ma qualité d’ecclésiastique (clergyman), dit-il, il était naturel que je m’attachasse de préférence aux choses qui sont du domaine de l’église. » Aussi nous fait-il connaître avec beaucoup de soin non-seulement la constitution de l’église serbe, ses rapports avec le siège œcuménique de

  1. « La confiance, dit quelque part M. Guillaume Lejean, que le dernier de ces paysans a en lui-même et en sa race se trahit dans son allure, dans sa démarche preste et allègre, dans son langage à la fois coloré, harmonieux et viril. » Le révérend W. Denton résume son éloge par cette phrase : « Chaque Serbe est un gentleman (every Servian is a gentleman). »