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cier porteur du bérat d’investiture. Tout le monde remarqua la réponse adressée par le prince à l’envoyé du sultan : « En recevant de vos mains le haut bérat impérial, je vous prie, monsieur le colonel, d’assurer sa majesté que, fidèle à la double tradition de ma dynastie, je ne cesserai pas de professer les sentimens de loyauté et de dévouement envers le haut suzerain de la Serbie, en même temps que je régnerai toujours en prince jaloux de maintenir les institutions et les droits de ma nation. »

Le prince se mit à l’œuvre sur-le-champ, secondé par un petit groupe d’hommes habiles et dévoués, qu’il avait étudiés et comme triés à l’avance. Il réclama de la Porte l’exécution du hatti-cherif de 1833 concernant le séjour des musulmans en Serbie, et fit en même temps élaborer par son ministère (que présidait M. Philippe Cristitch, aujourd’hui sénateur) le plan de réformes destiné à régénérer la Serbie par le changement de l’oustav ou constitution de 1838. Dans l’été de 1861, une skouptchina extraordinaire fut convoquée à Kragouiévatz, pour délibérer sur les propositions du gouvernement. Ouverte par le prince en personne, le 18/6 août, jour de la fête de la Sainte-Transfiguration, dont elle portera désormais le nom dans l’histoire, l’assemblée fut close le 1er septembre suivant. Moins de deux semaines avaient suffi aux députés pour voter une série de projets de lois qui, sanctionnés immédiatement par le prince, modifiaient complètement la situation politique et économique de la principauté. Une de ces lois réorganisait le sénat, dont les attributions et les prérogatives, plus clairement définies et maintenues dans les limites de l’autonomie nationale, rendaient impossible désormais le retour des conflits qui avaient troublé la Serbie depuis vingt années. Une autre loi réglait la succession au trône, et investissait le prince, à défaut d’héritier direct, de la faculté de choisir et de désigner son successeur. L’institution d’une milice nationale, dont tous les Serbes indistinctement devaient faire partie, était l’objet d’une troisième loi; une quatrième enfin abolissait l’ancienne capitation établie par l’oustav, et la remplaçait par une taxe proportionnelle et progressive sur le revenu, qui promettait au trésor un notable accroissement de ressources.

Ces innovations, dont la portée n’échappait à personne, furent très mal accueillies à Constantinople.. Jusque-là, encouragé par la faiblesse du prince Alexandre, le divan s’était habitué à ne voir dans l’oustav qu’une sorte de pacte définitif immuable, un khatem (cachet), pour parler le langage des ulémas de Stamboul, auquel il ne pouvait être dérogé que du gré et avec le concours de la puissance suzeraine. Qu’une telle prétention fût ou non conciliable avec l’autonomie que ce même oustav garantissait à la Serbie, c’est ce dont nul ne s’embarrassait : le peu de souci qu’Alexandre avait