Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la contemplation de ses souvenirs ou de ses rêves, le prince Michel visitait les capitales, apprenait les langues de l’Europe, s’asseyait, simple étudiant, sur les bancs de l’université d’Heidelberg, méditait dans le silence du cabinet les ouvrages des historiens et des philosophes; il avait comme un pressentiment de la prochaine restauration de sa famille : le temps et mon droit ! disait-il souvent. Lorsque le renversement subit d’Alexandre Karageorgevitch, l’âge avancé de son père, firent briller à ses yeux la perspective du trône, il ne fut point ébloui ; il se sentait prêt pour sa nouvelle tâche. Les dix-huit mois qu’il passa en Serbie comme héritier présomptif (de février 1859 à septembre 1860) furent presque tous employés par lui à visiter l’intérieur d’un pays qu’il avait perdu de vue depuis quinze années; il échappait ainsi aux tristesses du séjour de Belgrade, où une lutte sourde s’était déclarée entre son père et lui. Une sorte d’abîme séparait ces deux hommes, Miloch et Michel. De l’un à l’autre, il y avait toute la distance du moyen âge aux temps modernes : Miloch était resté barbare et despote comme un chef de pallikares; Michel était un prince européen instruit, libéral, imbu des idées modernes sur les droits des peuples et la responsabilité des souverains. Il avait médité de bonne heure sur les devoirs d’un prince serbe, sur les principes qui doivent régir sa conduite, sur les périls qu’il doit éviter. En 1851, il publie à Vienne un écrit intéressant, Miloch Obrénovitrh, ou Coup d’œil sur l’histoire de Serbie, de 1830 à 1840. S’il cherche à justifier son père, il sait aussi se convaincre que Miloch n’est pas uniquement tombé par l’effet des intrigues de ses ennemis ou d’un caprice de la fortune, mais que lui-même a été dans de certaines limites le complice de sa propre ruine.

Miloch expira le 26 septembre 1860, à huit heures du matin. Le même jour, une proclamation, adressée au peuple par le nouveau kniaz, annonçait que désormais « la loi serait la seule autorité en Serbie. » Une telle phrase dans la bouche du fils et de l’héritier de Miloch marquait la différence du règne qui venait de finir et du règne qui allait commencer. C’est le principe des monarchies constitutionnelles substitué librement et spontanément à celui des gouvernemens absolus. La proclamation était signée : Michel Obrénovitch III, kniaz de Serbie. Ainsi ce n’était pas seulement comme successeur de son père, c’était aussi comme successeur de son frère aîné, Milan, mort au moment même où Miloch partait pour l’exil (juillet 1839), que le prince Michel prenait possession du pouvoir; cette double filiation impliquait de droit et de fait l’hérédité dans la famille Obrénovitch. On s’attendait à une protestation de la Porte. Celle-ci se contenta d’envoyer à Belgrade, suivant l’usage, un offi-