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chienne), un des hommes les plus éclairés de ce temps. Tombé plus tard dans la disgrâce d’un maître ombrageux et violent, Démètre se retira à Sémendria, où il languit deux ans dans l’oubli et la misère, et mourut au mois d’avril 1838, âgé seulement de trente-huit ans.

La mort de Miloch clôt la première période de l’histoire moderne de la Serbie. Durant un demi-siècle (1804-56), la Serbie lutte, d’abord pour acquérir, puis pour asseoir son indépendance. L’ancien pachalik de Belgrade se transforme peu à peu en un état autonome qui ne se rattache plus à la Porte que par un lien nominal. A l’intérieur, le pouvoir, longtemps disputé entre les prétentions rivales des voïvodes et des autres chefs militaires, se concentre et se fixe dans une seule famille. De féodale, la Serbie tend à devenir monarchique, et, chose digne de remarque, ces événemens, ces transformations appelées à renouveler un jour la face de l’Orient, s’accomplissent sans la participation, presque à l’insu de l’Europe. Tandis que la France, l’Angleterre, la Russie, brûlent de concert la flotte turque à Navarin et fondent par le protocole de Londres le nouveau royaume de Grèce, elles assistent de loin, comme à un spectacle, à la lutte engagée sur le Bas-Danube. Seule la Russie intervient par momens en faveur des Serbes, comme des Moldo-Valaques, et profite adroitement de ses victoires sur les Turcs pour jeter l’assise de son double protectorat.

La deuxième période, celle qu’on pourrait appeler la période contemporaine, présente un autre caractère. Ici l’Europe n’est plus absente du débat; elle exerce sur les événemens une action toute prépondérante. Le protectorat a été aboli (traité de Paris de 1856) ; l’autonomie serbe n’est plus un fait isolé, dépourvu de sanction, un accident de la politique russe : son existence a été reconnue, garantie; elle fait partie du droit public européen. A l’intérieur, le principe monarchique et héréditaire a triomphé définitivement par le rappel des Obrénovitch et l’avènement du prince Michel. Dès lors une idée nouvelle, entrevue un instant sous Miloch (1835), le rétablissement des limites historiques de la Serbie, se fait jour dans la politique. La renaissance de la principauté serbe est accomplie ; la renaissance du pays serbe commence. La première période est toute en Kara-George et en Miloch; la seconde est représentée par le prince Michel. Le prince Michel a aujourd’hui quarante ans; ce n’est plus ce «jeune homme pâle, timide, à la contenance embarrassée, » que M. Blanqui rencontra en 1842 à Belgrade; c’est un homme dans la force de l’âge, que l’adversité a trempé, dont tous les traits portent l’empreinte d’une volonté ferme. Les années d’exil n’ont pas été perdues pour lui comme pour Miloch ; tandis que celui-ci, confiné dans ses terres en Valachie, s’absorbait de plus en plus