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les préjugés populaires, mais à la dignité de son caractère, à sa probité, à son désintéressement, à la résolution et à l’énergie avec lesquelles il avait entrepris et opéré des réformes utiles, supprimé des abus invétérés et maintenu l’honneur du drapeau national. A la suite d’une guerre longue et désastreuse, il avait trouvé l’Angleterre appauvrie, sans crédit, et sous son habile administration elle était devenue plus riche et plus prospère qu’elle ne l’avait jamais été. Il l’avait trouvée abaissée et humiliée par ses revers, et il l’avait relevée dans l’estime de l’Europe. Elle pouvait donc à bon droit être fière du ministre qu’elle avait soutenu à son début contre l’opposition des hommes les plus éminens sans autre titre alors à sa confiance que le nom qu’il portait, et bientôt, grâce au concours dont elle l’avait entouré, elle allait éprouver combien il est sage pour une nation de mettre à profit les temps de paix pour se libérer de ses engagemens, diminuer ses charges improductives, améliorer ses institutions et préparer les ressources qui lui seront nécessaires quand les jours de lutte reviendront.

En effet, la paix dont l’Angleterre avait joui pendant neuf ans avec tant de profit touchait à son terme. Au mois de juillet, l’empereur d’Allemagne et le roi de Prusse déclarèrent la guerre à la France, et le trône y fut renversé dans la tragique journée du 10 août. A la suite de cette catastrophe, le gouvernement auprès duquel les diverses puissances avaient accrédité leurs ambassadeurs n’existant plus, celles qui avaient encore des agens à Paris s’empressèrent de les rappeler. L’Angleterre était de ce nombre, et ordre fut donné à lord Gower, son représentant, de revenir; mais le cabinet anglais ne voulait pas rompre avec la France, et la lettre de rappel que lord Gower fut autorisé à communiquer au ministre des affaires étrangères à Paris exprimait la nouvelle assurance d’une neutralité complète. D’un autre côté, M. de Chauvelin, l’ambassadeur français à Londres, ayant exprimé le désir d’y rester sans caractère officiel, lord Grenville, en l’y autorisant, lui fit connaître que, s’il avait quelque communication d’une nature pacifique à lui adresser, il ne rencontrerait aucun obstacle de forme.

Cependant Dumouriez avait fait la conquête de la Belgique. Custine s’était emparé de Worms et de Mayence, partout les Autrichiens et les Prussiens avaient été repoussés par les armées françaises, et la convention nationale avait, le 19 octobre, voté la célèbre proclamation par laquelle elle offrait assistance et fraternité à tous les peuples qui voudraient recouvrer leur liberté. Une certaine agitation, à laquelle M. de Chauvelin et son secrétaire, l’abbé de Talleyrand, étaient soupçonnés de ne pas être étrangers, commençait à se manifester en Angleterre, et dans plusieurs villes des troubles