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vaient. Les deux points à examiner tout d’abord, quand on veut se lancer dans une industrie nouvelle, sont les débouchés et les frais de production. Si les premiers sont restreints, et les seconds très élevés, la prudence exige qu’on ne procède qu’avec une extrême lenteur. C’est pour avoir méconnu ces principes, pour avoir fait de la culture perfectionnée dans un pays qui n’en comportait pas, que les compagnies agricoles dont j’ai parlé ont échoué; c’est pour un motif analogue que d’autres entreprises qui avaient pour objet l’exploitation des forêts n’ont pas donné de meilleurs résultats. Ainsi, en 1840 une compagnie normande s’était constituée pour exploiter sur une grande échelle une partie des forêts particulières de la Corse; elle vint s’y installer avec un matériel immense de chevaux, de chariots, de scieries, etc., dont elle ne put tirer aucun parti faute de routes. Rançonnée par les propriétaires, qui, profitant de ses embarras, lui faisaient payer leurs bois plus qu’ils ne valaient, elle dut liquider dès la première année. C’est dans les pays neufs surtout qu’il faut se défier des apparences. Quand on parcourt les sombres forêts de la Corse, où se pressent les plus de 40 ou 50 mètres de haut, quand on songe que, rendus à Toulon ou à Gênes, ces arbres vaudraient peut-être un millier de francs chacun, il semble que rien ne soit plus facile que de les tirer de là et qu’on n’ait qu’à le vouloir pour faire fortune; mais quand on se met à l’œuvre, on s’aperçoit bientôt des difficultés de l’opération, et pour peu qu’on n’ait pas tout prévu, les déceptions ne se font pas attendre. Il y a quelques années, un adjudicataire corse, trouvant que ses compatriotes lui faisaient payer trop cher le transport de ses bois, acheta en Italie, moyennant 20,000 fr., une douzaine d’attelages de mulets. Au bout de six mois, ses voitures s’étaient cassées sur les routes nouvellement empierrées, et ses mulets étaient morts de fatigue. Il fit alors venir une scierie mécanique qu’il installa sur un cours d’eau, pour débiter ses planches. Après quelques semaines, il reconnut que le transport des pièces jusqu’à la scierie lui coûtait plus cher que le sciage à bras sur le parterre même de la coupe. Hors d’état, après ces dépenses, de faire face à ses engagemens envers le trésor, il fut dépossédé de son adjudication et se trouva complètement ruiné. On ne saurait donc trop le répéter, ce n’est qu’en procédant avec la plus grande prudence qu’on pourra triompher en Corse des obstacles que rencontre au début toute industrie nouvelle. C’est en utilisant les ressources du pays, si minimes qu’elles puissent être, plutôt qu’en introduisant à grands frais des procédés perfectionnés, qu’on y parviendra le plus sûrement, car ce n’est pas en un jour qu’on peut changer les habitudes d’une population, ni transformer sa situation économique. Aussi de petites entreprises