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menade. Il est à peu près certain que la comtesse de Saxe avait imaginé ce roman pour éveiller l’ambition de la Rosenacker et l’attacher à ses intérêts; elle voulait avoir un espion auprès d’Aurore de Kœnigsmark. Celle-ci écrivait plus tard en parlant d’elle : « Son esprit étant naturellement porté aux intrigues, les laquais, les servantes, les sorcières, tout y fut employé. » Cette fois du moins l’intrigue ne réussit pas; la comtesse de Saxe, dans l’impatience de sa haine, avait manqué d’adresse, et, démasquant ses projets avant d’avoir tout à fait perverti sa complice, elle l’avait effrayée. Elle lui montra un jour deux petites boîtes contenant deux paquets d’une poudre blanche préparée par un Italien qui demeurait à Vienne : « Voilà le seul moyen, dit-elle, qui puisse me rendre ma liberté. » En même temps elle pria la Rosenacker de verser une de ces poudres à Maurice dans une tasse de café, — non pas dans une tasse de thé, car l’effet serait nul, — dans une tasse de café pur, et les choses suivraient leur cours lentement, mais infailliblement, sans que personne pût rien soupçonner. Le comte serait malade pendant quelque temps et mourrait au bout de quatre mois. Alors, sa mère tombant dans le désespoir, ce serait le moment de lui faire avaler l’autre paquet de poudre, et chacun attribuerait la mort de Mme de Kœnigsmark à l’excès de sa douleur. La Rosenacker, si dévouée qu’elle pût être à la comtesse de Saxe, ne put s’empêcher de frémir en face de ce plan effroyable où les douleurs prévues d’une mère entraient dans les combinaisons de l’assassin; elle répondit en pâlissant que le comte ne lui avait jamais fait aucun mal, qu’elle exposait sa vie en commettant un tel crime... À ces mots, et sans la laisser achever, la comtesse de Saxe entra dans une colère horrible, menaçant de lui faire prendre cette poudre à elle-même, si elle osait trahir sa confiance. Tel est du moins le récit de la Rosenacker, qui, malgré les menaces de la comtesse, s’empressa d’aller se jeter aux pieds de Mme de Kœnigsmark et de lui révéler ces horreurs. Peu de jours après, la jeune femme du comte Maurice allait trouver sa belle-mère, lui peignait la Rosenacker comme une vile intrigante, une créature scélérate, et l’engageait à se défier de ses calomnies. Entre sa belle-fille et sa suivante, Aurore de Kœnigsmark fut-elle embarrassée? Ce ne fut pas sa belle-fille qui l’emporta auprès d’elle en cette lutte honteuse : elle dut la croire capable des derniers forfaits après de telles révélations, car, ayant occasion d’écrire au comte de Saxe au sujet de ses affaires domestiques, c’est alors qu’elle lui donna le conseil « de lâcher entièrement la bride à la comtesse, qui se perdrait infailliblement. »

Quelle que soit d’ailleurs la vérité sur l’histoire que nous venons de transcrire, ce sont là de tristes paroles, et qui jettent bien des