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bruit lointain arrivait jusqu’à nous, je le voyais se lever précipitamment, et, le doigt sur la gâchette, se tenir prêt à faire feu sur quiconque serait venu nous déranger. Il ne fut heureusement pas obligé d’en venir à cette extrémité, et, grâce à lui, je pus accomplir ma mission sans être inquiété.

Cependant le gouvernement ne pouvait assister en spectateur indifférent à la ruine des forêts de la Corse, que tout lui faisait un devoir de mettre en valeur. Une délimitation générale, opérée de 1833 à 1839, avait porté la contenance totale du domaine forestier de l’état à 130,000 hectares environ, qui, déduction faite des rochers, crêtes et maquis, ne représentaient guère que 50,000 hectares boisés. A peine cette opération fut-elle terminée, que des contestations surgirent de toutes parts. Des communes ou des particuliers revendiquèrent, comme leur appartenant, les trois cinquièmes environ de l’étendue totale, et intentèrent à l’état des procès sans nombre qui empêchèrent toute exploitation. Bien que les droits de l’état fussent parfaitement établis, le gouvernement préféra en finir par une transaction. En 1843, il chargea M. Béhic, alors inspecteur des finances, d’une mission de ce genre, que firent échouer les exigences exagérées des communes. Dix années plus tard, M. Blondel, aujourd’hui conseiller d’état, réussit à mener à bien une nouvelle tentative de conciliation. Après avoir, pendant deux années, parcouru la Corse dans tous les sens, étudié sur les lieux toutes les réclamations, visité toutes les forêts en litige, il parvint, par l’abandon d’une partie d’entre elles, à satisfaire momentanément les habitans, et à les faire renoncer à toute revendication ultérieure sur celles qu’il réservait à l’état. Il s’attacha surtout à conserver à celui-ci les massifs les plus importans, ceux dont l’exploitation pourrait quelque jour lui être profitable, et à n’abandonner aux communes que ceux qui, plus à proximité des villages, étaient par cela même plus dévastés et moins riches en bois. Malheureusement, dans ces derniers, le pâturage fut autorisé, et depuis lors exercé presque sans mesure, si bien qu’aujourd’hui la plus grande partie de ces massifs a déjà disparu; mais il fallait bien faire la part du feu et sacrifier une partie pour sauver l’autre. Grâce à ce sacrifice, il reste actuellement à l’état 45,000 hectares de forêts presque toutes affranchies de la plaie du pâturage comme de toute autre servitude, et dont il s’attache maintenant à tirer parti[1].

  1. D’après les statistiques officielles, on compte en Corse :
    ¬¬¬
    47 forêts domaniales 45,824 hectares.
    88 — communales 56,928 —
    102,752 hectares,


    dont un tiers en vides et rochers.