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le commerce qu’elle fait avec les pays limitrophes est loin d’avoir l’importance de celui qu’elle pourrait faire avec la mère-patrie, si ses produits y entraient librement. Si on ne veut pas assimiler la Corse à un département français, il faudrait au moins, pour être logique, l’affranchir de tous droits, et lui donner en matière commerciale une liberté absolue; mais le système de demi-mesures aujourd’hui en vigueur ne peut présenter que des inconvéniens. Nous retrouvons ici un de ces cercles vicieux dont notre législation coloniale nous offrait tant d’exemples. D’un côté, on voyait la mère-patrie faire des sacrifices considérables pour défend et administrer ses colonies, et de l’autre leur appliquer un régime douanier dont l’effet le plus clair était d’y anéantir toute industrie, d’y ruiner toute entreprise. D’après le tableau publié par l’administration des douanes, le commerce de la Corse avec l’étranger s’est élevé en 1862 à 4,380,000 fr. pour les exportations et à 5,610,000 fr. pour les importations. Quant à son commerce avec la France, il n’est pas indiqué dans la publication officielle, mais il est hors de doute que les importations dépassent de beaucoup les exportations. L’explication de cette anomalie est fort simple. La Corse rapporte annuellement au trésor public, par les impôts, les douanes, les exploitations de forêts, etc., environ 2,500,000 fr. Par contre, elle lui coûte de 7 à 8 millions pour travaux de routes, frais d’administration, solde de troupes, etc. Il faut donc que la France lui envoie, pour payer ces dépenses, environ 5 millions de numéraire par an[1]. Une partie de cette somme passe en Italie dans la poche des Lucquois, et le surplus retourne en France pour payer l’excédant des importations sur les exportations, car ce sont les militaires, les fonctionnaires, les ouvriers vivant en Corse de leur traitement et de leur salaire, qui consomment les produits expédiés du continent. Quant à l’île proprement dite, elle ne profite que fort peu des sommes qui s’y dépensent et ne s’enrichit pas des sacrifices qu’elle nous impose[2]. On a dit et répété souvent que les forêts rembourseraient quelque jour toutes ces avances, et que, tout en assurant le bien-être des

  1. En réduisant ce chiffre à une moyenne de 3 millions, on voit que, depuis sa réunion à la France, la Corse ne lui aurait pas coûté beaucoup moins de 300 millions.
  2. Dans son ouvrage la Corse et son avenir, M. de La Rocca donne l’évaluation suivante, faite en 1858 par M. Conti, receveur-général :
    ¬¬¬
    Recettes : Montant des exportations 3,147,000 fr.
    Contributions et recouvremens 2,000,000
    Subsides fournis par l’état 4,418,000 9,505,000 fr.
    Dépenses : Importations 8,505,000 fr.
    Salaire des Lucquois 1,000,000 9,565,000 fr.


    Il ne reste donc rien dans l’île.